Michel-Christian Ouayoun : Entendre et respirer

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le Professeur Michel-Christian Ouayoun cumule les spécialités. Formé à l’Hôpital Saint-Antoine, il s’est d’abord passionné pour le développement des implants cochléaires, puis s’est orienté vers la recherche sur l’apnée du sommeil, avant de revenir depuis la crise sanitaire à une pratique plus classique de l’ORL.
Rencontre avec un homme discret mais déterminé, pour qui la recherche est fondamentale.

Si Michel-Christian Ouayoun est devenu professeur de médecine, c’est en grande partie, explique-t-il, pour payer la « dette morale » qu’il estime avoir vis-à-vis de la médecine et de l’enseignement : « A dix ans, j’ai eu une grave maladie. Le professeur de chirurgie qui m’a opéré m’a sauvé la vie. C’était un homme extraordinaire. »
Au même moment, deux autres personnes marquent sa vie : « J’ai été alité longtemps et j’ai eu la chance d’avoir un instituteur et un directeur d’école très présents. Ils sont venus à mon chevet pendant des mois pour me donner des cours. »
« Je leur ai alors promis, à tous les trois, que je rendrai la pareille, que je deviendrai médecin et enseignant. »

Rencontre avec des pionniers de l’implant cochléaire
Michel-Christian Ouayoun se lance donc dans des études de médecine à la faculté Saint-Antoine. « J’ai hésité pour ma spécialisation : neurologie, neurochirurgie ? Je crois que ce qui m’a décidé c’est que j’aime beaucoup la musique, et tout ce qui touche au langage. Et j’ai eu l’occasion d’assister à une conférence des Professeurs Meyer et Chouard sur les implants cochléaires, dans laquelle ils ont expliqué qu’il n’y aurait à l’avenir plus de personnes sourdes comme on les connaissait jusqu’alors. Cela m’a beaucoup impressionné, et lorsque je suis arrivé en cinquième année, j’ai décidé de travailler dans ce domaine des implants cochléaires. Mon choix de devenir ORL tient donc à ma rencontre avec ces deux génies qui ont pratiquement inventé l’implant cochléaire. »
Michel-Christian Ouayoun a la chance de faire son stage d’internat avec ces deux professeurs. « Je suis devenu chef de clinique dans leur service, et j’ai pu travailler sur les implants, en particulier sur le codage – sujet très complexe – de la parole pour stimuler le nerf auditif. Nous avons élaboré plusieurs types de codage, qui ont été déployés dans les implants cochléaires, de différentes marques. ».

Traitement automatique de la parole
Au CHU Saint-Antoine à Paris de 1992 à 1999, il pratique la médecine et poursuit ses recherches. « J’ai préparé ma thèse de sciences à l’Ecole Supérieure d’Électricité à Gif-sur-Yvette, en Master 2, puis au CNRS à Orsay, au sein du Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l’Ingénieur, sur le traitement automatique de la parole, en collaboration avec le laboratoire de l’hôpital Saint-Antoine. »
En 1999, il est nommé professeur et exerce à l’hôpital Avicenne avec le professeur Frachet. Mais l’expérience tourne court : « mon idée était de continuer à travailler dans le domaine des implants cochléaires, mais le patron n’a pas voulu que je continue à travailler dans ce domaine, pour en garder l’exclusivité », regrette-t-il.

De l’implant à l’apnée
Qu’à cela ne tienne, puisque Michel-Christian Ouayoun a toujours eu un deuxième domaine de prédilection en ORL : « J’avais eu la chance à Saint-Antoine de travailler sur le traitement du ronflement et sur l’apnée du sommeil, domaine d’excellence dans cet hôpital, sous la houlette notamment du pneumologue Bernard Fleury, dont j’ai été l’externe en 1983. Il a été l’un des premiers à avoir travaillé sur la médecine du sommeil. On le prenait pour un original à l’époque. Je l’ai vu utiliser les premiers polysomnographes. Il y avait des électrodes partout ! C’était un peu surréaliste. On demandait aux patients de dormir comme ça, avec des câbles et des capteurs partout… »
Il se tourne donc vers le développement chirurgical du syndrome d’apnées-hypnopnées obstructives du sommeil (SAHOS). « J’ai continué à travailler à Avicenne, comme chef de clinique en ORL, mais je faisais des consultations communes avec des pneumologues, dont faisait partie Danielle Sadoun. »
Et petit à petit, « cette spécialité m’a m’intéressé de plus en plus. J’ai même fini par passer un diplôme interuniversitaire sur le sommeil et ses pathologies. » S’il est spécialisé dans l’apnée du sommeil, Michel-Christian Ouayoun touche à toutes les maladies du sommeil. « Presque toutes les spécialités sont concernées par les pathologies liées au sommeil : la neurologie, la pneumologie, l’ORL, la psychiatrie pour le cas des dépressions, l’endocrinologie pour le diabète ou l’obésité… Cette spécialité est très transversale, et pour traiter les patients correctement, il faut une véritable collaboration avec les autres spécialités ! »

Première génération de somnologues
D’autant que le sujet est de plus en plus présent : « On parle de plus en plus des maladies liées au sommeil. Il y a même maintenant une Journée nationale du sommeil. Les ORL sont partie prenante dans le diagnostic et le traitement, comme nous avons pu l’expliquer lors du Congrès mondial de Paris ».
Mais la somnologie si elle encore jeune « s’est structurée récemment, avec une Formation Spécialisée Transversale (FST) du sommeil », se félicite-t-il. « Depuis 2020, nous formons des somnologues, qui passent dans les différents services concernés pour se former aux différentes maladies du sommeil. »
Michel-Christian Ouayoun a dirigé jusqu‘en 2019 une unité d’exploration du sommeil en ambulatoire à l’hôpital René-Muret. « L’apnée du sommeil est une maladie extrêmement fréquente, rappelle-t-il, et c’est aussi un poste majeur de dépenses de la Sécurité sociale ! Un million de personnes portent un masque respiratoire la nuit, pour 1000 euros par personne et par an, soit un total d’un milliard d’euros de dépenses par an en France ». (lire aussi p. 15)
« Et je ne vous parle que d’une seule maladie du sommeil – l’apnée. Mais il en existe bien d’autres, qui ont des conséquences sur la vigilance des patients et peuvent provoquer des accidents de la route ou du travail. Ce n’est pas pour rien que la législation restreint la conduite automobile aux personnes atteintes de maladies du sommeil. »

25 ans de progrès
Mais guérit-on de ces troubles du sommeil ? « Notre mission est bien entendu de faire en sorte de trouver des traitements efficaces, et beaucoup de chemin a été parcouru », explique Michel-Christian Ouayoun. « Au départ, nous faisions de la ventilation avec des masques à pression positive continue, mais en 1994-1995, avec Bernard Fleury, nous avons décidé d’essayer l’orthèse d’avancée mandibulaire, le but étant de dégager un espace d’air derrière la langue, sans ventilation. L’idée a fait son chemin, d’autres équipes de recherche dans le monde l’ont creusée également et finalement, ce traitement alternatif est désormais admis par la HAS. »
Parallèlement, « en ORL, nous avons travaillé sur la chirurgie des bases osseuses – domaine dans lequel un de mes internes, devenu praticien hospitalier, Boris Pételle, est désormais une référence. »
Le Professeur Ouayoun a travaillé avec le Professeur Frédéric Chabolle et le Dr Boris Pételle sur un stimulateur électronique à mettre sur un nerf qui contrôle la langue, afin de permettre aux gens de respirer. Ce traitement, plus physiologique que la ventilation, plus proche de la nature, est très prometteur. »
Aujourd’hui, « le stimulateur est au point, il y en a même deux qui sont commercialisés, mais il est difficile de démontrer qu’ils sont intéressants économiquement : à 25 000 euros pièce, ils sont actuellement trop chers pour la Sécurité sociale. » (lire aussi p. 15)
Pour Michel-Christian Ouayoun, « l’ORL va devenir encore plus incontournable dans le traitement de l’apnée du sommeil si le système bionique démontre économiquement son efficacité. La bionique est un domaine de recherche en pleine expansion, avec des stimulateurs contre l’épilepsie, dans le domaine cardiaque, pour Parkinson, l’incontinence urinaire, la dépression, les troubles alimentaires, etc. »

Financements privés
Evidemment, le problème, ce sont « les difficultés de financement dans le secteur public. Je travaille à l’APHP depuis que j’ai commencé. On nous parle d’économies de santé depuis 1979, et chaque année il faut faire des efforts. Il est de plus en plus difficile d’avoir des fonds pour la recherche. Les études ne sont en général pas financées par les institutions publiques mais par les fabricants. Or la recherche privée n’a pas les mêmes objectifs ni les mêmes contraintes que la recherche publique. La France a longtemps été leader en matière de santé, et les unités de recherche qui existent encore sont reconnues à l’international, mais elles sont désormais peu nombreuses. Le fait qu’aucun laboratoire français n’ait réussi à créer un vaccin contre le Covid en dit long sur l’engagement politique en faveur de la recherche. Cela montre bien que les investissements publics manquent. Et la disette scientifique a été tellement longue qu’il y aura un gros travail de restructuration à faire pour relancer la recherche fondamentale en France », prédit-il.
Par exemple, à l’heure actuelle, « en France, la recherche sur l’apnée du sommeil est quasi uniquement observationnelle. Il n’y a pas de recherche pour trouver des molécules permettant de traiter cette pathologie dans notre pays. Nous ne travaillons plus à la conception de solutions. »
Pourtant, « ce type de recherches est intéressant car on participe réellement aux choix stratégiques de dépenses de santé. Nous sommes conscients que nous ne pouvons pas tout demander, que nous devons faire des concessions en fonction des coûts. Nos consultations sont pleines de gens qui font des apnées du sommeil, et il faut tous les traiter, mais pas tous avec le dispositif le plus cher. Pourtant – et c’est un vrai débat – si on laissait le choix aux patients, ils préféreraient avoir un implant invisible que de porter à vie une trompe sur le nez… »

ORL de ville… à l’hôpital
En septembre 2019, les choses changent une nouvelle fois pour Michel-Christian Ouayoun : « l’hôpital René-Muret n’avait plus les moyens de maintenir l’unité d’exploration du sommeil dans un département, la Seine-Saint-Denis, où la prévalence des cancers est très élevée et où les parcours de soins sont rendus difficiles par la faiblesse des revenus de la population. L’apnée du sommeil n’était donc plus une priorité et l’unité a fermé. »
Deux mois plus tard, la crise sanitaire éclate et modifie encore un peu la donne. Tout d’abord, Michel-Christian Ouayoun se mobilise sur le traitement des patients Covid : « au début de la crise, je faisais beaucoup de trachéotomies et de broncho-aspirations en réanimation ». Aujourd’hui, explique-t-il, «  ’en fais moins. La stratégie de traitement a changé : on ventile davantage en non-invasif qu’en intubation, et ce sont quasi-exclusivement les réanimateurs et les infectiologues qui s’occupent au quotidien des patients Covid. »
« J’oriente aussi mes patients atteints vers des spécialistes ORL de l’anosmie et de l’agueusie. Pour le moment, le seul traitement est la rééducation », indique Michel-Christian Ouayoun, qui constate « depuis six mois une baisse des nouveaux cas ». Peut-être, avance-t-il, « les médecins généralistes, qui se sont beaucoup mobilisés pendant toute la crise sanitaire, prennent-ils mieux en charge ces pertes de goût et d’odorat ».
Mais la crise sanitaire a d’autres conséquences, plus indirectes, mais qui ont-elles aussi modifié l’activité médicale de l’hôpital : « beaucoup de cabinets de ville ont fermé, il y a eu des départs en retraite anticipés, des décès aussi, malheureusement. Cela a aggravé la pénurie d’ORL de ville qui existait déjà dans le département », explique-t-il. Résultat : « un report significatif de patients sur l’hôpital. » « Actuellement, même si je me consacre encore un peu au Covid, en faisant des trachéotomies, je fais surtout des consultations ORL de base – bouchons de cérumen et nez bouchés, bref toute la pathologie courante d’un ORL de ville. »
A 61 ans, Michel-Christian Ouayoun est donc devenu un ORL « classique ». Mais la recherche sur ses deux passions – les implants cochléaires et l’apnée du sommeil – lui manque et l’on sent bien qu’il aimerait à nouveau avoir les moyens de tester, d’innover, bref, de voir plus loin.

 

Covid 19 : la cinquième vague

« Les vagues précédentes de Covid ont été extrêmement difficiles pour les équipes », constate Michel-Christian Ouayoun. « Nous voyons arriver cette cinquième vague avec anxiété. Heureusement, les épidémiologistes estiment que cette vague sera moins importantes que les autres, du fait de la vaccination qui est assez efficace en France et d’une amélioration de la prise en charge des formes graves. Il y a d’ores et déjà moins de décès. Les équipes sont donc moins affectées, mais il faut bien dire qu’il y a une vraie lassitude des personnels soignants qui ne se consacrent quasiment qu’au Covid depuis deux ans. »
Au point, analyse-t-il, qu’il « y a une baisse d’empathie vis-à-vis des malades Covid, les hôpitaux voyant arriver principalement des personnes non vaccinées à l’heure actuelle. Les personnels soignants ont été les premiers vaccinés, et lorsque l’on voir tout l’argent consacré à la lutte contre le Covid, il n’est pas étonnant qu’ils finissent par être moins sensibles sur le plan affectif face à tous ces résistants à l’intelligence qui ne se sont toujours pas fait vacciner. »

 

De l’avenir de la médecine

Lorsqu’on l’interroge sur le futur, Michel-Christian Ouayoun voit « une médecine de plus en plus individualisée, personnalisée. Les nouvelles technologies nous le permettent aujourd’hui. C’est la fin de la frontière entre la médecine qui corrige les maladies et la médecine permettant d’améliorer le bien-être ou les performances. Dans un cas comme dans l’autre, on utilise les mêmes technologies. »

 

Du tac au tac

Beatles, Rolling Stones ou Nirvana ?
Tous ! J’aime toutes les musiques, notamment le classique : Bach, Brahms, Beethoven…
J’ai travaillé un temps sur la musique électrifiée, le type de voix utilisées dans le hard rock. Vous savez qu’avant les concerts, les assureurs font souvent faire un examen médical des cordes vocales des chanteurs ? C’est ainsi que j’ai notamment rencontré le chanteur de rock Willy DeVille…

Lars von Trier ou Pedro Almodóvar ?
Les deux, mais aussi des réalisateurs plus grand public, comme Ridley Scott.

Japon, Islande ou Brésil ?
J’ai beaucoup voyagé… Mais je dirais le Japon. La population y est tellement respectueuse, l’art de vivre si subtil, tout est d’une telle délicatesse… Leur recherche de la perfection se retrouve partout, aussi bien dans la fabrication du whisky que pour l’habillement… Savez-vous que si vous n’achetez pas les chaussures que vous avez essayées dans un magasin au Japon, elles ne seront pas vendues, pour des raisons d’hygiène mais aussi parce qu’elles ont été déballées, et que cela ne se fait pas de vendre quelque chose qui a déjà été déballé. Cela explique que les consommateurs japonais, qui sont très respectueux, y réfléchissent à deux fois avant d’essayer plusieurs paires de chaussures dans un magasin !

Un hobby ?
Puisque je ne peux plus faire de chirurgie (l’hôpital René-Muret n’a pas de bloc ORL), je me suis mis à la menuiserie !
J’aime beaucoup ce genre de métiers ancestraux, héritiers de siècles de tradition et en même temps à la pointe de la technologie, avec des outillages très modernes qui permettent un travail d’une précision extrême.

Le plus important, c’est…
Profiter de la vie avec sa famille et ses amis !

 

Plaidoyer pour une réforme du système de santé

Evoquant les difficultés de financement de la recherche et d’une manière générale du système de santé, Michel-Christian Ouayoun estime qu’il y a « une aberration à demander sans cesse aux médecins des hôpitaux publics de faire le plus d’actes possibles, pour augmenter les recettes des hôpitaux, alors que cela aggrave les dépenses de la Sécurité sociale », déplore Michel-Christian Ouayoun. « On a deux institutions publiques qui sont en conflit : d’un côté, l’hôpital public qui n’est « rentable » que s’il est suffisamment rempli au regard du personnel présent, et de l’autre, la Sécurité sociale qui doit maîtriser les coûts. Je pense que l’hôpital public doit se réformer pour être en adéquation avec les intérêts de la Sécurité sociale, qui, elle, représente l’intérêt général. On ne peut plus se permettre de poursuivre la tarification à l’acte », estime-t-il.
Pour réformer cette situation, poursuit Michel-Christian Ouayoun, « il faut bien réfléchir à ce que l’on veut réellement comme objectifs de santé pour maintenir un système de santé pour tous. »

 

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