Le haut de gamme a-t-il un intérêt thérapeutique ?

Vêtements, vins, téléphones mobiles, voitures : une certaine vision consumériste enseigne que plus cher, c’est plus de qualité, plus de puissance, plus sur mesure, et à l’arrivée, plus de bonheur. Est-ce le cas pour l’audioprothèse ? A défaut de trancher réellement, une étude récente aura au moins renouvelé le débat. Analyse.

 

Le sujet défraye la chronique depuis qu’à Nantes, lors du dernier Otoforum, le professeur Gérard O’Donoghue, connu pour ses publications de qualité sur l’implant cochléaire(2), s’est fendu d’une communication sur la nécessaire rigueur des travaux scientifiques en citant en exemple l’étude publiée en septembre dans Ear & Hearing par une équipe de l’université de Memphis (Tennessee) composée du Professeur Robyn M. Cox, et de Jani A. Johnso, et Jingjing Xu. Cette étude dont le professeur O’Donoghue nous a fort aimablement communiqué les références porte sur l’efficacité relative des entrées et haut de gamme perçue par les patients.
En voici le protocole : une cohorte de patients essaye successivement quatre appareils auditifs – des références fréquemment délivrées, issues de deux marques connues, avec pour chaque marque, un appareil d’entrée de gamme et un appareil haut de gamme. Les patients ignorent la marque et le niveau de gamme de l’appareil. L’impact de ces appareils sur la qualité de vie des patients et leurs préférences concernant l’un ou l’autre des appareils testés a été évalué par des interviews et des questionnaires. Conclusion de l’étude : la satisfaction des patients n’est pas meilleure avec les produits haut de gamme. Il n’en fallait pas plus pour que cela génère des débats animés sur le forum médical Doc à doc.
Il faut dire qu’avant même d’en venir à des tests pratiques, comme celui auquel se livre cette étude récente, la question de l’apport de la montée en gamme n’est pas simple, même en théorie. Jugez plutôt.

 

Expliquer ce qu’est une gamme : le challenge

Certes, sur le long terme et dans l’ensemble, on aurait tendance à ne pas voir le problème : c’est bien le progrès technique qui a permis la révolution numérique et les réussites actuelles de l’appareillage. Et c’est encore le progrès technique, poussé par le dynamisme du marché haut de gamme, qui permet d’étendre progressivement le public des personnes appareillées comme le souligne Mikaël Ménard chez Sivantos : « Aujourd’hui, les appareils auditifs commencent à permettre de répondre à des cas de surdité profondes. Pour les cophoses, par exemple, là où hier, il n’y avait pas d’autre solution que la conduction osseuse, existent aujourd’hui des possibilités d’appareillage de l’oreille moyenne, plus simples que la conduction osseuse. On arrive également à répondre à des pertes plus légères qu’auparavant, ce qui autorise des appareillages plus précoces. Cela aussi rompt avec les pratiques encore en vigueur il y a quelques années lorsque l’on n’appareillait pas les pertes légères, ou que l’on n’appareillait que l’oreille atteinte de trouble auditif au lieu de privilégier bien souvent un appareillage stéréo ».
Pour autant, malgré ces réels progrès arrivés par le haut de gamme, audioprothésistes et fabricants semblent peiner à trouver un langage commun pour expliquer au public la différence entre les gammes – et certains regrettent des interférences venues de l’univers du marketing qui tendent à simplifier le discours jusqu’à la caricature : le bas de gamme serait bien dans les univers silencieux, le haut de gamme indispensable dans le bruit.
Au total, recommande Cyrille Coudert, audioprothésiste chez Audionova, « il faut se méfier de la notion de gammes, qui est très tronquée. On a vu certains fabricants faire des erreurs stratégiques en lançant un appareil haut de gamme puis en le déclinant en version allégée. Certains ont sorti avec seulement un an d’écart un appareil moins cher que le haut de gamme, mais dans lequel des éléments avaient été changés et qui était finalement meilleur que le haut de gamme ! Comment expliquer au patient qu’une audioprothèse sortie moins d’un an après l’appareil haut de gamme qu’il a acheté est à la fois plus efficace et moins chère ? »  Bref, conclut-il, « la construction des gammes manque de transparence ».
Car, vu des audioprothésistes, l’apport de la gamme dépend fondamentalement de la situation du patient. « Le discours honnête à tenir, poursuit Cyrille Coudert, c’est : « tout dépend de vous, de votre audition, de vos besoins, de la manière dont vous allez réagir au port de l’audioprothèse et à ses réglages… » »

 

Quelques règles

Cela étant, ce principe de grande variété interindividuelle des effets de gamme n’empêche pas quelques « règles » sur lesquelles s’accordent les audioprothésistes interrogés et dont ressort un tableau assez nuancé lorsque l’on évoque la relation entre gamme et réussite de l’appareillage.

Laura Bontemps

D’un côté, souligne Cyrille Coudert, il y a bien des cas où le haut de gamme n’apporte rien :  « Pour certains patients – notamment âgés et ayant des problèmes cognitifs – les appareils haut de gamme sont une source de problème : ces appareils vont trop vite pour eux, leur cerveau n’a pas le temps de traiter les informations. De même, plus une surdité est forte, moins le patient va profiter du haut de gamme. Imaginez l’audition comme un piano : si vous avez une surdité légère, il manquera 3 ou 4 touches sur le clavier. Dans ce cas, l’audioprothésiste aura besoin des réglages précis et des fonctions des appareils haut de gamme. Mais si vous avez une surdité plus lourde, s’il ne vous reste plus que 5 ou 6 touches sur le clavier, alors les multiples fonctions de l’appareil haut de gamme ne vous serviront plus à rien. Il vous faudra simplement de la puissance. Ce qui est important pour ces personnes, c’est la puissance de l’appareil, et la possibilité de se connecter à la télévision ou au téléphone. Par exemple, les appareils haut de gamme ont des micros multidirectionnels, mais nous les désactivons pour les personnes atteintes de surdité importante, parce que cela ne sert à rien. L’une des seules raisons pour équiper un patient souffrant d’une surdité importante avec un appareil haut de gamme est sans doute le système limitant l’effet larsen, plus efficace sur les hauts de gamme que sur les entrées de gamme. »
D’un autre côté, il n’est pas vrai non plus que la gamme ne joue jamais aucun rôle dans le succès de l’appareillage. A titre d’exemple, les patients presbyacousiques – près de 90 % des malentendants – ne sont pas « égaux devant les gammes ». A cet égard Laura Bontemps, Franck Miermont et Cyrille Coudert s’accordent pour considérer que plus le profil de la perte est pentu, plus l’appareil haut de gamme s’impose. « Une oreille normale a un profil plat, résume Laura Bontemps. En vieillissant, on entend moins bien les aigus, et, si l’on ne fait rien, la perte de l’audition dans les aigus tire lentement la courbe vers le bas. Le profil typique du presbyacousique est donc en « pente de ski ». Plus la pente est forte, plus nous avons besoin d’un grand nombre de canaux pour permettre des réglages fins dans ces fréquences. Pour des raisons similaires, un patient dont la perte a un profil en zig-zag pourra être appareillé plus finement avec des appareils haut de gamme. »
Autre exemple : les patients souffrant d’acouphènes. « Pour ces derniers, estime Cyrille Coudert, l’entrée de gamme n’est tout simplement pas adaptée, car elle ne permet pas à l’audioprothésiste d’agir précisément sur les fréquences pour atténuer les acouphènes, alors que les possibilités offertes par un appareil haut de gamme permettra de le faire. »
Enfin, il est une autre règle sur laquelle s’accordent tous les audioprothésistes : au-delà des exigences liées à la correction du déficit auditif, l’utilité d’un niveau de gamme donné pour un patient donné s’apprécie aussi, et bien sûr, en fonction de la situation de vie de ce dernier.
« La montée en gamme va de pair avec davantage de confort dans les environnements sonores complexes ou bruyants, explique Franck Miermont. Il est certain qu’un patient ayant une vie sociale intense aura plus d’intérêt à pouvoir disposer d’un appareil haut de gamme. C’est ainsi que je tends à conseiller le très haut de gamme à des patients plutôt jeunes, encore en activité, ou avec une vie sociale importante, qui ont besoin de mettre toutes les chances de leur côté aussi bien dans leur vie personnelle que professionnelle. »
Pour autant, attention, une vie sociale moins riche n’implique pas que l’entrée de gamme réponde parfaitement aux besoins – en particulier dans le cas fréquent de personnes âgées passant de longues heures devant la télévision. « Pour les fabricants, explique Mikaël Ménard, il ne fait pas de doute que la télévision ou la radio constituent des environnements sonores complexes.

Mikael Ménard

Bien souvent, il s’agit de sons qui ont déjà été traités et que l’appareillage doit de nouveau traiter. Cela cumule les difficultés ». En effet, renchérit Laura Bontemps : « A part les rares émissions en direct, tout – certains talk show mais aussi, bien sûr, les séries et les films… – est enregistré et le son est compressé. Mais ce n’est pas tout : le son n’est pas le même d’une chaîne à l’autre, d’une émission à l’autre. Il faut aussi prendre en compte la façon dont les acteurs ou les animateurs parlent. Certains chuchotent, d’autres ont une voix très sourde. Enfin, de plus en plus, les gens, et les personnes âgées malentendantes ne font pas exception, s’équipent de grands écrans plats dont les hauts parleurs sont situés sur l’arrière, et sont donc orientés vers le mur. En général, plus la télévision est fine, plus les hauts parleurs sont de petite taille. Il y a certes la solution du casque, mais, si le son dans un casque de télévision peut aujourd’hui être d’une qualité incroyable, la plupart des téléspectateurs n’en utilisent pas. Heureusement, les fabricants proposent des accessoires permettant de recevoir directement le son dans les appareils auditifs, et ces derniers bénéficient d’un réglage spécialement optimisé pour la télévision. » Bref, pour Laura Bontemps comme pour Franck Miermont : si une personne âgée seule devant sa télévision n’a pas besoin de l’ultra haut de gamme, le premier prix peut ne pas être suffisant non plus !
Et l’on touche peut-être là aux limites de certaines entrées de gamme : comme le remarque William Méauzoone, « il est rare qu’une personne malentendante soit gênée dans un environnement calme, mais lorsque c’est le cas, elle peut très bien lire sur les lèvres pour pallier à sa surdité. C’est dans les environnements bruyants que les aides auditives sont réellement indispensables. Les appareils auditifs vont devoir faciliter le travail de filtre du cerveau pour aider le malentendant à comprendre la parole sans être inondé de bruits. Et les appareils premier prix sont alors bien souvent insuffisants. »

 

Effets induits ?

Pour être complet sur le sujet de la relation entre gamme et observance, on aurait assez envie de se demander si la distinction entre « apport au confort » et « enjeu thérapeutique » du haut de gamme ne pourrait – et ne devrait pas – être dépassée.
Premièrement, comme le souligne Franck Miermont, « il est certain qu’un appareil moins confortable dans le bruit sera probablement retiré dans ces situations. Cela est frustrant pour le patient et abaisse sa satisfaction – or l’on sait que l’observance, c’est-à-dire le port effectif de l’appareil, est étroitement corrélée avec la satisfaction. D’ailleurs, sur le long terme, il y a des chances qu’un appareil moins confortable soit moins porté ! »
Deuxièmement, les études montrent un fort effet placebo associé au fait que le patient a la certitude de bénéficier du meilleur appareil possible le mieux réglé possible. (Voir par exemple : Dawes P, Powell S, Munro KJ. (2011) The Placebo Effect and the Influence of Participant Expectation on Hearing Aid Trials. Ear & Hearing 32(6):767-774 ; ou encore : Hopkins R. (2012) Reliability of Placebo Effects In Hearing Aid Trials. British Academy of Audiology (BAA) Poster #24, Manchester, England). Dans ce cas, le seul fait que l’appareil soit identifié par le patient comme « haut de gamme » jouerait sur la satisfaction et donc sur l’observance – à quoi pourrait s’ajouter un effet : « vu ce que j’ai payé, je le porte (!) -, et l’on pourrait redouter un effet négacebo associé à l’entrée de gamme…
Troisièmement, mais il faut reconnaître que nous sommes là pour l’instant dans la pure spéculation, il n’est pas impossible que de nouvelles fonctionnalités en apparence « gadget » associées à certains appareil haut de gamme – comme par exemple la possibilité de contrôler certaines fonctionnalités par smartphone – aient un rôle positif sur la satisfaction et l’observance en aidant le patient à se rendre acteur de son appareillage au lieu de subir ce dernier.

 

In vivo veritas ?

Si l’on récapitule cet échange avec les audioprothésistes, il est quand même difficile de totalement et toujours séparer la question du niveau de gamme et celles, a minima de la satisfaction du patient, a maxima de la qualité de l’appareillage. En théorie du moins. Mais en pratique ?
En pratique, les choses se compliquent. Car s’il est difficile aux fabricants – et même parfois (souvent ?) aux audioprothésistes – d’expliquer les différences entre les gammes, mesurer l’impact de ses différences pour le patient est une vraie gageure. « Il faut être honnête, observe Franck Miermont : certains des réducteurs de bruit qui sont proposés par les fabricants ont une efficacité toute relative. Les industriels font beaucoup de marketing. Disons que certains savent… faire du bruit, mais le résultat dans la vie quotidienne des patients n’est pas toujours celui espéré. Cela ne résulte pas tant d’une limite technologique que d’une limite due au traitement central de l’information ».
… Où l’on en revient, vous l’avez deviné, à la fameuse étude Cox et al. (2016), qui démontrerait qu’in vivo, la gamme ne change rien pour le patient. Seulement voilà, si cette étude chagrine, ce n’est pas uniquement à cause de l’impact que ses conclusions pourraient avoir – à la hausse ou à la baisse – sur les marges des uns et des autres (lire encadré ci-dessous).

 

Des biais, des biais et encore des biais

Dès la première lecture en effet, apparaissent dans cette étude une étonnante quantité de travers méthodologiques.
A commencer par la taille de l’échantillon – 45 personnes – dont on ne voit pas comment il pourrait être représentatif de troubles auditifs précisément remarquables par l’ampleur de leur variabilité interindividuelle.
En outre, sur ces 45 personnes, les auteurs précisent que 17 (37.7 %) ont été appareillés avec un dôme ouvert. Or comme Cyrille Coudert l’a exposé lors du dernier forum Alter Ago à Athènes, le dôme n’est pas exactement la meilleure façon d’exploiter les capacités d’un appareil. Interrogé sur cette étude, l’audioprothésiste voit dans cet usage massif du dôme un premier biais : « ces derniers ne sont pas adaptés pour les pertes auditives dans les basses fréquences (moins de 30 dB). Avec un dôme ouvert, on supprime l’efficacité de l’appareil haut de gamme dans les fréquences de 20 à 35 dB, on nivelle donc vers le bas. La différence entre entrée et haut de gamme est alors moins perceptible. » Pour plus d’un tiers de l’échantillon, les conditions d’appareillage favorisent donc ex ante la conclusion de l’étude…
Deuxième et troisième biais, repérés par Cyrille Coudert :
– « L’échantillon est composé de patients souffrant d’une surdité « faible » à « moyenne ». Cela signifie que pas un seul patient de l’étude n’avait un niveau de surdité suffisant pour avoir besoin d’un anti-larsen très performant. : c’est encore une fonction des appareils haut de gamme que les patients de l’étude n’avaient aucune chance de ressentir ».
– « L’étude laissait aux patients la possibilité de baisser le volume de leurs appareils. Les patients équipés d’appareils haut de gamme ont été plus nombreux à baisser eux-mêmes le volume que les patients équipés d’appareils d’entrée de gamme. Pourquoi ? Sans doute parce que les audioprothésistes avaient – dans un but bien précis, mais de long terme – réglé les appareils haut de gamme différemment dans certaines zones, qui correspondent souvent à des sons familiers – réglage que l’on ne peut pas faire avec de l’entrée de gamme. Donner la possibilité au patient de supprimer ces réglages, c’est supprimer en partie ce qui fait la qualité de l’appareil. C’est à nouveau niveler vers le bas les capacités de l’appareil haut de gamme, et donc rendre plus indistincte la différence entre haut et entrée de gamme. »
Et cela continue. Quatrième biais, qui, celui-ci, saute aux yeux : l’évaluation de l’impact du niveau technologique de chaque appareil sur la qualité de vie a été réalisée au bout d’un mois.
On notera cependant que les changements, s’agissant de la qualité de vie, sont imperceptibles : quand est-ce qu’un malentendant qui s’est désintéressé du théâtre faute d’entendre les acteurs y retourne ? quand est-ce qu’il se réimplique dans les conversations mondaines, dans une vie associative ? Cela se fait-il en un mois ?
Et là encore, commentaire de Cyrille Coudert : « Le patient n’est pas compétent pour juger lui-même de l’efficacité d’un appareil au bout d’un mois, tout simplement parce que le travail de rééducation est long. Au début – notamment le premier mois – le patient ressentira une gêne, qui sera d’autant plus grande sur les appareils haut de gamme qui permettent de multiples réglages. Mais cette gêne est nécessaire. C’est un peu comme lorsque vous allez chez le kiné : s’il arrêtait dès que vous avez mal, vous n’iriez jamais au bout de la rééducation. »
Or, phénomène aggravant : sur les 45 personnes de l’échantillon, seuls 19, soit une minorité avaient une expérience antérieure de l’appareillage auditif – de 3 à 10 ans d’expérience. On en déduit par conséquent que, sur ces 45 participants, 26 (soit 57,7 % de l’échantillon !) étaient primo-accédants à l’appareillage et se trouvaient donc en pleine réhabilitation auditive – ils en étaient au stade où, en début de réglage de l’appareil, ils apprenaient à réentendre et reconnaître certains sons – lorsqu’on les a soumis à des tests de « satisfaction ». Dans ces conditions, il n’est sans doute guère étonnant que les patients n’aient pas distingué les différences entre les programmes pré-réglés équipant les appareils…

Dernier point : si, comme nous l’avons dit, la satisfaction est en général corrélée avec l’observance, il reste que cette étude ne nous dit rien en ce qui concerne l’impact ou non des gammes sur l’observance, en raison de deux autres biais majeurs :
– Les participants à l’étude ont été sélectionnés dans une base de données recensant des candidats volontaires, base de données maintenue par le laboratoire de l’université qui a réalisé l’étude ! On peut donc penser qu’ils sont plus sensibilisés aux problématiques de l’audioprothèse que le patient lambda, ce qui a de fortes chances d’accroître l’observance même si l’appareillage devait être moins bon.
– Pour garantir la pertinence des résultats (!) les participant se sont engagés à une observance minimale de 4 heures par jour… Bref, l’observance était imposée ! Cela vide de son sens l’observation selon laquelle : « en moyenne les modèles ont été portés entre 9.1 et 9.3 heures par jour sans qu’il y ait de différence significative entre les quatre modèles ». Cette durée de port est significative d’appareils mis au réveil et enlevés le soir, dans le cadre du respect d’un engagement pris pour une expérience d’un mois.
Cela ne dit donc rien de ce qu’aurait été l’observance au bout de cinq ans, hors du cadre d’une expérimentation…

Affaire à suivre

Bref, si cette étude devait vraiment faire référence, ce ne pourrait être qu’au mépris de certaines règles relatives au doute scientifique ! Pour autant, continue Cyrille Coudert, il faut lui savoir gré de soulever des questions. « En effet, tous les audioprothésistes rêvent d’être certains qu’une technologie apportera un progrès mesurable à leurs patients. Beaucoup d’audioprothésistes vont vers le haut de gamme non pas par certitude que c’est la meilleure solution pour le patient, mais parce que cela leur permet davantage de possibilités de réglages. Face à cette situation, l’étude pose la question du meilleur rapport qualité-prix, et la réponse qu’elle apporte est clairement négative.
« Là où les auteurs de l’étude ont raison, c’est lorsqu’ils constatent le manque d’outils démontrant la différence entre l’entrée et le haut de gamme. Pour que cette étude soit vraiment intéressante, il aurait fallu la faire non pas sur des personnes n’ayant jamais été appareillées, mais sur des patients appareillés depuis cinq ans, disposant d’audioprothèses de moyenne gamme : on aurait alors pu donner à la moitié de ces gens un appareil de moyenne gamme, bien réglé, et à l’autre moitié, un appareil haut de gamme – sans leur dire à quelle gamme chaque appareil appartenait, bien sûr. Là, la comparaison aurait été intéressante. Par ailleurs, il faudrait faire des études sur des temps beaucoup plus longs – cinq à quinze ans. »
Last but not least, à côté de cette méthode d’évaluation individuelle, resterait sans doute à explorer la piste médico-économique – car plusieurs éléments contredisent les enseignements de l’étude. Ainsi, les patients tendent à être disposés à payer davantage – donc pour des gammes plus élevées – une fois qu’ils ont une expérience de l’appareillage. Autre sujet à méditer  : si la France est l’un des marchés les plus haut de gamme d’Europe, elle est aussi celle qui enregistre les plus hauts taux de satisfaction et d’observance…

(1) Qu’on nous pardonne de passer rapidement sur ce sujet polémique et important : nous reviendrons dans un prochain numéro sur les déterminants de l’achat d’un appareil et sur ceux de la recommandation d’une référence par l’audioprothésiste.
(2) On trouve parmi les articles cosignés ces dernières années par Gerard O’Donoghue les intitulés suivants : « Spatial hearing of normally hearing and cochlear implanted children » (2011), « Results of a prospective surgical audit of bilateral paediatric cochlear implantation in the UK » (en 2013 et 2014), ou encore « Comparison of the benefits of cochlear implantation versus contra-lateral routing of signal hearing aids in adult patients with single-sided deafness: study protocol for a prospective within-subject longitudinal trial » (en 2014 également).

 

Sujet qui fâche

Soyons clairs : si ce sujet des gammes fait couler autant d’encre c’est qu’il emporte des enjeux de gros sous. Parce que, dira-t-on sûrement, le haut de gamme fait la marge des fabricants et des audioprothésistes, mais c’est peut-être aller vite en besogne :
– Pour les fabricants, si le cycle de vie des produits est rapide sur ce marché – comme sur l’ensemble des marchés de biens technologiques reposant sur des microprocesseurs dont les capacités ne cessent de croître – c’est au prix de très lourds investissements en R&D. Et il faut en outre rappeler que les personnes appareillées gardent leurs audioprothèses 5 à 6 ans – ce qui couvre plusieurs générations de gammes, si bien que l’intérêt d’inciter au renouvellement du parc ne peut pas être le même que sur le marché du smartphone, par exemple…
– Pour les audioprothésistes, cette réflexion en terme de marge réalisée sur la vente des appareils haut de gamme(1) méconnaît largement le fait que l’essentiel de leur métier réside dans les prestations de réglage-adaptation puis de suivi. Or ces prestations prennent plus de temps pour un appareil haut de gamme que pour un appareil d’entrée de gamme. L’argument est donc inopérant, car vendre du bas de gamme permettrait tout simplement de vendre plus en « réglant » moins. Une solution de facilité que les évolutions en cours pourraient, certes, bien précipiter.
En revanche, on pense moins au fait que certains acteurs ont un intérêt financier et/ou politique très clair à expliquer que le haut de gamme ne sert à rien.
Cela commence par les financeurs de la protection sociale, notamment OCAM et réseaux de soins : des appareils moins chers, voilà qui fait moins à rembourser. Et pour les réseaux, il est évident que proposer des « analyses de devis » et des prestations et conseils « pré-appareillage » ou « post-appareillage », sous couvert de rétablir « l’asymétrie d’information » entre patient et audioprothésiste permet à la fois de contrôler les coûts et de justifier leur existence.
Cela continue avec les responsables politiques et les candidats aux élections diverses, pour lesquels une baisse générale en gamme du marché est un moyen peu onéreux, à forfait de remboursement inchangé, d’augmenter le pourcentage apparent de remboursement.
Enfin, par pudeur, on ne dira rien du secteur de l’implantologie, dont on supposera quand même qu’il ne peut voir d’un très bon œil les audioprothèses high-tech venir piétiner les plates-bandes de l’implant avec des solutions moins invasives et moins lucratives…