OCAM & réseaux de soins : la plaidoirie de la défense

Fin du libre choix pour le patient du professionnel de santé, fin du libre choix pour le professionnel de santé du traitement et des équipements les plus adaptés, pression sur les tarifs et marges… Autant de critiques apparues ces dernières années à l’égard des réseaux de soins.
Après avoir consacré plusieurs articles à ce sujet, il a semblé légitime à la rédaction d’Alter Ăgo le Mag de donner la possibilité aux OCAM et aux réseaux de soins de répondre. Bruno Cerron et Corinne Devillard, d’Harmonie Mutuelle, et Jean-François Tridodi, de Carte Blanche Partenaires, (par ailleurs membre du club Alter Ăgo) ont accepté de jouer le jeu.

 

« Les réseaux ont à l’origine été développés par les mutuelles », rappelle Bruno Ceron, directeur adjoint pour la stratégie et les partenariats d’Harmonie Mutuelle. « Le groupe Harmonie rassemble ainsi plus de 25 000 salariés dans le domaine de la santé, notamment dans les établissements dentaires, les centres auditifs et optiques, ou encore dans les établissements médico-sociaux. Dans le cadre de notre propre réseau mutualiste, nous mettons à la disposition de nos adhérents 80 centres d’audioprothèses et 200 centres optiques. »
Mais, depuis la création de ces réseaux mutualistes, les choses ont évolué : « Aujourd’hui, nous travaillons aussi avec un réseau de soins extérieur, Kalivia, dont font d’ailleurs partie nos centres mutualistes ».
« Les réseaux sont un lien entre les complémentaires santé et les professionnels de santé », explique Jean-François Tripodi, directeur général du réseau de soins Carte Blanche Partenaires, qui compte 8 actionnaires et 36 clients, couvrant 7 millions de personnes. « Nous portons en interne des compétences humaines et techniques qui nous permettent de mieux comprendre et donc de discuter avec l’ensemble de l’offre de soins. » Il y a peu de temps encore, se souvient-il, « les assurances-santé remboursaient des prestations en toute méconnaissance, et les professionnels de santé ignoraient ceux qui les finançaient pour partie. Le rôle des réseaux est donc d’être l’interface entre ces deux exigences de transparence au profit des bénéficiaires : à travers des prestations à de meilleurs rapports qualité/prix. »

 

Ouverts ou fermés

Mais attention, soulignent les deux structures, tous les réseaux de soins ne fonctionnent pas de la même manière, et il ne faut pas mettre dans le même sac réseaux ouverts et réseaux fermés.
« La plus grande crainte des professionnels de santé français est sans doute que le système évolue vers le modèle américain des Health maintenance organization (HMO), dans lequel les patients ont l’obligation de consulter un professionnel en particulier », analyse Bruno Ceron. « En France, il y a certes des réseaux fermés – qui correspondent aux HMO américains –, mais il y a aussi des réseaux ouverts, comme Kalivia, le réseau de soin d’Harmonie Mutuelle. » Et « dans un réseau ouvert, si l’adhérent ne souhaite pas aller chez un professionnel conventionné avec ce réseau, il peut aller ailleurs. Il n’est pas pénalisé pour autant », poursuit Corine Devillard, directrice des relations avec les professionnels de santé chez Harmonie Mutuelle.

 

Bruno Ceron

Liberté d’adhérer

Autre différence entre réseaux ouverts et réseaux fermés : « tous les professionnels de santé peuvent intégrer un réseau ouvert tel que Carte Blanche, à partir du moment où ils répondent à nos critères. Cesprofessionnels ont la possibilité de sortir du réseau à tout moment », souligne Jean-François Tripodi. Le principe est le même pour Kalivia, ajoute Corine Devillard : « tous les professionnels qui le souhaitent et répondent aux critères du réseau Kalivia – critères qui sont par exemple élaborés avec des audioprothésistes en exercice représentant leur profession – peuvent demander leur adhésion dans le cadre d’une convention, signée à la suite de l’appel d’offres ». Les réseaux fermés, eux, « référencent un nombre restreint de professionnels de santé avec des engagements tarifaires très sévères, et avec des écarts de remboursements qui pénalisent les adhérents lorsqu’ils ne se font pas soigner au sein du réseau. »

 

Partenariats…

En outre, contrairement aux réseaux fermés, les réseaux ouverts « garantissent le respect des processus métier du professionnel de santé », affirme Jean-François Tripodi. « Chez Carte Blanche, nous estimons qu’il faut travailler de concert avec les professionnels de santé. Il est pour nous indispensable d’avoir des relations saines et apaisées avec ces derniers. Les réseaux ne doivent se construire que dans une relation partenariale, où l’idée même de sélection drastique est inconcevable. Si les réseaux que l’on peut qualifier de « restreints » mettent en place des obligations vis-à-vis des professionnels de santé qui peuvent venir perturber le marché ou la pratique du professionnel, ce n’est pas notre cas. Pour nous, exercer une pression irréfléchie sur les professionnels de santé risquerait d’entraîner une qualité de service dégradée vis-à-vis de nos adhérents. C’est vrai sur les équipements d’optique mais c’est encore plus marqué pour d’autres activités où la qualité de prise en charge repose davantage sur le service que sur l’équipement, comme c’est le cas de l’audioprothèse. »
Pour Harmonie Mutuelle non plus, le rapport de force n’est pas de mise : « Notre démarche est de rendre service aux adhérents dans une logique partenariale, et non d’avoir, vent debout contre nous, l’ensemble des professionnels de santé ! On ne construit rien contre les gens », explique Bruno Ceron.

Jean-François Tripodi

Les réseaux fermés, eux, « ont des modalités de partenariat uniquement axées sur un prix de vente le plus bas possible, voire sur des partenariats parfois inavouables », ajoute Jean-François Tripodi. « Ces éléments entraînent de fait une fréquentation moindre de ces réseaux car la qualité des soins s’en voit fortement diminuée. Une baisse trop importante du prix de vente amène en effet une diminution du temps passé à l’adaptation et au suivi qui dégrade in fine la qualité de la correction auditive du patient. Ce sont autant de pratiques que nous ne recommandons pas au regard de l’enjeu de santé publique que représente la qualité des soins. »

 

… sous contrainte financière

Reste que tous les réseaux de soins – réseaux ouverts compris – ont pour objectif de faire des économies. « L’adhésion à un réseau ouvert permet un afflux de clientèle pour les professionnels, et, en contrepartie, ces professionnels doivent consentir un effort sur les marges, ce qui permet d’abaisser les prix de 10 à 15 % », explique Bruno Ceron. Pour Harmonie Mutuelle, passer par Kaliva permet de parvenir « un reste à charge minoré » : « pour un équipement stéréo en audioprothèse, la diminution du reste à charge est de 500 euros environ – cela varie selon la gamme ». Et ce, « sans impact sur les prestations », affirme-t-il.
Même objectif chez Carte Blanche : si le réseau de soins se défend d’avoir « une approche uniquement économique dans ses modalités de partenariat » dans le domaine de l’audioprothèse, notamment, « nous souhaitons, d’une part, réduire les coûts – qui représentent un frein pour l’assuré – et, d’autre part, avoir la garantie que l’assuré s’est vu délivrer un appareillage qui correspond à sa déficience auditive et à son environnement social et avec un suivi réellement assuré. »

 

Fabriquer des audioprothèses ?

Si le réseau Carte Blanche fabrique d’ores et déjà ses propres montures – vendues chez les opticiens membres du réseau – il ne compte pas se lancer sur le marché de l’audioprothèse, selon Jean-François Tripodi : « nous fabriquons en effet, pour des questions de traçabilité et de qualité, la partie « non technique » des lunettes. En comparaison, une audioprothèse est en soit exclusivement de la haute technologie et je vous confirme que nous ne vendrons pas d’appareils d’audioprothèse (pour plaisanter je dis souvent que nous allons fabriquer des embouts avec notre logo… bien entendu ce n’est pas vrai !) »

 

Tarif unique pour les appareils

Le sujet est d’actualité puisque « Carte Blanche va renouveler son réseau d’audioprothésistes en 2017 », explique Jean-François Tripodi. « Nous avons lancé en 2016 un référencement de l’ensemble des fournisseurs et des audioprothèses, et nous allons mettre en place prochainement un conventionnement avec les audioprothésistes, sur des critères de qualité et de services. »
« L’objectif est que le patient soit toujours libre de choisir son appareil, mais à un tarif minoré par rapport au prix du marché. » Les méthodes varient, mais la philosophie est proche : tandis que Kalivia « travaille avec un groupe d’experts et avec les fabricants pour classifier les appareils par gamme puis définir des plafonds tarifaires au regard des pratiques du marché au niveau du département », Carte Blanche « fixe, pour chaque appareil, un tarif unique dans la France entière, en tenant compte du prix catalogue du fabricant, mais aussi de la marge nécessaire de l’audioprothésiste. Il n’est bien évidemment pas question de plafonner le prix des audioprothèses à 800 euros. Nous allons lisser les extrêmes pour trouver des prix raisonnables à la fois pour les patients et pour les professionnels. Certaines Marques de Distributeurs (MDD) ne souhaitaient pas mettre leurs appareils dans le référencement. Nous leur avons expliqué que leurs audioprothésistes ne pourraient alors pas intégrer notre réseau. Pour nous, il est important que l’audioprothésiste puisse choisir l’appareil, non pas dans une liste restreinte imposée par sa maison-mère – qui parfois est le fabricant lui-même – mais parce que cet appareil est le mieux adapté au besoin du patient. »

 

Gagnant-gagnant ?

Toutes ces négociations font bien entendu l’objet d’« échanges » et de « points d’étapes avec des experts de la profession représentatifs de l’ensemble de la filière, afin de partager avec eux sur un modèle aux plus proches des besoins des bénéficiaires et des professionnels », selon Carte Blanche. « Nous n’oublions pas que l’appareillage auditif comprend l’audioprothèse elle-même, son adaptation mais également son suivi et sonentretien. Ce suivi, obligatoire et nécessaire, effectué par l’audioprothésiste doit être en rapport avec son engagement dans le temps », ajoute Jean-François Tripodi. « Tout service porte en lui une valeur financière intrinsèque à sa qualité ; outre un socle commun partagé par tous les audioprothésistes et facturé spécifiquement, il me semble que chacun pourrait mettre en avant sa propre volonté de services par l’affichage de sa valeur ajoutée dans le service et donc un tarif différenciant. Ce serait une manière de se démarquer des low cost qui veulent justement ne pas effectuer ce suivi. »
« Il est vrai que ces négociations suscitent parfois quelques frictions, mais nous parvenons toujours à trouver un accord », conlut Bruno Ceron. « Notre intérêt commun et bien compris est d’obtenir le meilleur rapport qualité-prix pour faciliter l’accès de nos adhérents à l’audioprothèse. On sait que cet effet-prix ne porte bien sûr que sur l’appareil. Le temps et l’équipement de la cabine sont certes des coûts fixes ; mais il y a quand même un mieux pour le patient avec un coût un peu moins élevé, et l’audioprothésiste peut s’y retrouver en recevant un tout petit peu plus de patients par jour. Pour moi, les deux ne sont pas incompatibles ».

 

Conseil pré et post-appareillage

S’ils n’imposent pas à l’assuré d’aller chez tel ou tel professionnel ou de choisir tel ou tel équipement, les réseaux ouverts tels que Carte Blanche ne se privent pas pour « donner des conseils et faire de la prévention pré et post-appareillage » – marchant ainsi quelque peu sur les plates-bandes des professionnels. « Nous fournissons un accompagnement personnalisé à l’assuré dans sa démarche d’appareillage et de suivi », explique Jean-François Tripodi. « Nous lui proposons de l’orienter vers des professionnels de santé qui respectent des critères de qualités et tarifaires, et qui pourront répondre à ses besoins spécifiques. En optique, nous avons ainsi identifié les opticiens spécialisés en Basse Vision. Et pour notre nouveau réseau d’audioprothésistes, nous rechercherons également des expertises de ce type. »

 

Sous contrôle

Enfin, au-delà des contraintes financières, les réseaux de soins – même ouverts – ne cachent pas leur volonté de maîtriser les pratiques des professionnels de santé. Ainsi, pour être sûr que ces derniers ne quitteront pas le moule des conventions signées, Carte Blanche a prévu « divers contrôles : contrôle (en temps réel en avril2017) du respect des engagements de l’audioprothésiste lors de l’équipement et ensuite dans le respect du suivi, contrôle sur pièces des conditions de la vente et du suivi, et contrôle sur site du respect des engagements. »
Comme quoi, l’ouverture ne fait pas la liberté.