Se soigner entre médecins ? Rien de plus délicat. Entre la volonté de ménager le confrère, les présupposés de la compréhension qu’il peut avoir de sa situation, et la tendance à « consulter » entre deux portes, le risque est celui d’une sous-information. Et les temps ayant changé, les médecins ne sont pas les derniers porteurs de réclamation !
« Pendant longtemps, les médecins ont rechigné à entreprendre une action à l’encontre de l’un des leurs, rappelle le docteur Thierry Houselstein, directeur médical du Groupe MACSF – Le Sou Médical. Mais, sans que l’on puisse vraiment dire qu’il s’agit de la première profession à l’origine des réclamations, ils ont semble-t-il pris conscience du fait qu’ils peuvent réclamer. Ce n’est ni anecdotique ni, heureusement, un phénomène qui prend de l’ampleur, mais, notamment avec l’assistance protection juridique, des confrères cherchent désormais à mettre en cause d’autres confrères. »
Où le bât blesse : l’information…
« Il y a, dans le fait pour un médecin de consulter un confrère, des aspects positifs et d’autres qui le sont moins, explique encore Thierry Houselstein. Du côté positif, on constate que l’accès au soin est en général rapide. Dès que la pathologie est identifiée, une décision est prise pour orienter le confrère vers le bon spécialiste. En revanche, il existe une tendance à sous-évaluer le niveau nécessaire d’information à lui transmettre. »
Médecin expert auprès des tribunaux, Philippe Baril confirme qu’une carence d’information est la cause principale de litige. « Ces dossiers, remarque-t-il, présentent des caractéristiques qui apparaissent immédiatement aux yeux des experts désignés » Pour lui, deux situations-types sont particulièrement récurrentes :
n L’absence de dossier médical ou l’insuffisance de notes : absence de recueil de l’histoire clinique, des antécédents, des données de l’examen clinique ou des examens complémentaires ; absence de justification de l’intervention et de la détermination de la balance bénéfice/risque…
n L’absence d’information formalisée et évidemment de remise de feuille d’information sur les risques encourus. En général, cette information n’est pas faite pour deux raisons :
– le médecin-soignant suppose que le médecin-soigné connaît les risques opératoires du fait même de sa formation. Il s’agit là d’une erreur, car d’une part ce présupposé est faux et d’autre part l’information doit être faite indépendamment de ce que l’on croit que le patient connaît ;
– il existe une certaine gêne à dispenser une information auprès d’un confrère, car cela sous-entend qu’il puisse reprocher un jour de ne pas avoir rempli une obligation légale.
De quoi souffrez-vous, docteur ?
« Ce sujet, observe Thierry Houselstein, pose la question de la santé des professionnels de santé, qui mériterait à lui seul un dossier. Ce que nous observons, au sein de la partie prévoyance de la MACS, ce sont :
– pour les personnels médicaux – kinésithérapeutes – ou para-médicaux – aides soignants et infirmiers – qui manipulent et portent souvent les patients, des affections du rachis, des troubles lombo-sciatiques ou articulaires ;
– chez les dentistes, des pathologies de la main, des articulations, et des problèmes cardio-vasculaires ;
– enfin, chez les médecins, les pathologies cardio-vasculaires sont fréquentes, mais aussi les syndromes anxio-dépressifs de burn out. Quoique ce terme soit quelque peu galvaudé, c’est un sujet que l’on sent poindre. Sans que cela soit encore chiffré, les arrêts de travail pour épuisement professionnel augmentent. »
La médecine, savoir dangereux ?
Bref, contrairement à ce que l’on pourrait peut-être attendre, c’est donc davantage sur ce sujet de l’information que portent les réclamations que sur une erreur ou un retard de prise en charge, car, constate Thierry Houselstein, « les médecins ont conscience que la médecine n’est pas une science exacte ».
Il reste que leur savoir médical peut se retourner contre celui qui les soigne, et ce de plusieurs façons. D’abord, souligne le directeur médical de MACSF, parce que « le médecin malade est aussi un patient sachant ou qui pense savoir, qui a sa vision du métier et peut avoir du mal à accepter que son médecin en ait une autre, qui peut s’être fait une idée préconçue sur sa pathologie, et emmener son médecin dans une mauvaise direction ».
Ensuite, dans deux autres situations-types que développe Philippe Baril :
n « La première est liée à l’intervention, généralement spontanée, du médecin-patient dans les soins et dans les décisions thérapeutiques. (lire encadré ci-contre). Il n’est ainsi pas rare que le médecin soigné soit amené à rédiger ses ordonnances post-opératoires. Dans différentes affaires ont été rapportées des phrases emblématiques telles que : « Ne vous inquiétez pas, si j’ai mal je me ferai une ordonnance ». Ou : « Allo, j’ai un peu de fièvre… Pas de souci je me fais une ordonnance d’antibiotiques… » ; « Ne vous en faites pas, je ferai les pansements moi même, de plus ma femme est infirmière… ». Bien évidemment, ces différentes ordonnances peuvent contribuer à la survenue de dommages. Mais cette implication des médecins-soignés n’empêche pas la plainte d’être déposée et de prospérer.
n La seconde est celle où la connaissance de la médecine devient une arme contre le médecin auteur des soins, une situation par exemple observée dans un cas d’infection nosocomiale survenue en hôpital de jour, où le médecin qui en a été victime a tiré argument de tous les manquements à l’hygiène qu’il avait pu observer lors de son bref séjour dans les locaux.
Patients à risque ?
Alors : les médecins sont-ils des patients dont il faudrait se méfier ? « Pas nécessairement, répond Philippe Baril. Comme les autres, lorsqu’ils sont victimes ou lorsqu’ils se croient victimes d’un accident médical, ils subissent un dommage physique, des pertes financières éventuelles, et ils en demandent réparation. Aucun médecin ne peut dire qu’au-delà d’un certain seuil de préjudice, il ne ferait pas pareil. » Même réponse chez Thierry Houselstein pour lequel « là encore, ne parviennent à nous que les cas litigieux, qui sont l’exception. Le plus souvent, la relation de confiance perdure ».
Leurs recommandations sont donc de simple prudence : « il nous appartient seulement d’être vigilants avec nos collègues comme nous le sommes avec tous nos patients, résume Philippe Baril. Ce qui veut dire : établir des dossiers, éviter les consultations « entre deux portes » et ne pas donner des conseils médicaux sans examen. »
Et Thierry Houselstein de renchérir : « si je devais émettre une recommandation au médecin qui doit soigner un confrère, ce serait de redoubler de vigilance et d’explications, et de ne jamais présupposer que son patient est informé. Comme avec tout autre patient, et peut-être même de façon plus rigoureuse et scientifique, il convient de lui préciser les risques, les effets attendus, les évolutions possibles, et d’être très attentif au suivi. En général, les médecins ont des agendas très chargés, et tendent semblent-ils à penser que, dès lors qu’ils se soignent et que les choses vont dans le bon sens, tout est réglé. Ce n’est malheureusement pas toujours aussi simple. »
Des moyens simples d’éviter des procédures toujours pénibles lorsqu’elles opposent des confrères.
Automédication, attention…
Une considération incidente de Thierry Houselstein à propos de l’intervention des médecins dans leur propre parcours de soin : « Le personnel de santé, les médecins au premier chef, ont tendance à s’auto-médiquer, et à interpréter les bilans au regard de leurs connaissances… y compris hélas lorsque ces connaissances, qu’ils ont pu acquérir dix ou vingt ans plus tôt en faculté, sont dépassées sans qu’ils aient la possibilité de le savoir, car elles sont extérieures à leur pratique quotidienne ou à leur spécialité. Il peut en résulter des retards à la prise en charge de certaines pathologies. »
Sa recommandation : « ne pas se soigner soi-même… même si nous le faisons tous ! »