De figures en couleurs : le dessous des cartes

Avec son décor chaleureux de bois et métal et un clair-obscur nécessaire à la protection des pigments, on croirait une bibliothèque – et c’en est un peu une, à ceci près que les taches de couleurs sur les murs ne sont pas des livres mais des enseignes, des atouts, des jokers, signés parfois de grands noms – tels que Dubuffet, Delaunay ou Man Ray – et parfois de dessinateurs ou d’imprimeurs dont le nom n’est connu que de la saisissante érudition de ce spécialiste du jeu qu’est Gwenaël Beuchet, attaché de conservation au Musée de la carte à jouer.

Peintes à la main à l’origine, les cartes à jouer sont très vite produites en série grâce à la gravure sur bois, à la lithographie, puis à l’offset. Pour la petite histoire, parmi les grands noms de fabricants de cartes figurent Gutenberg et… Nintendo !

Tout commence dans les années 1980, « quand la ville d’Issy-les-Moulineaux hérite du fonds d’un musée associatif consacré à l’histoire de la ville et quand la conservatrice Agnès Barbier découvre, dans les archives de la ville, un fonds de cartes à jouer original contenant notamment une pièce quasi-unique : une planche de cartes parisiennes datant du XVIe siècle, caractérisées par leurs figures nommées (David, Charles, Alexandre…), autrement dit l’ancêtre de nos modernes cartes à jouer françaises », explique Gwenaël Beuchet.

 

Le seul musée de la carte à jouer de France

Après le franc succès d’une première exposition en 1986, « une collection de la carte à jouer voit le jour dans les vestiges du pavillon d’entrée du château des princes de Bourbon-Conti – plusieurs hectares de jardins à la française dont l’essentiel a aujourd’hui été grignoté par l’étalement urbain ». Puis, il y a vingt ans, en décembre 1997, un nouveau bâtiment est inauguré qui abrite désormais « le » musée de la carte à jouer – « le seul en France, en sachant que les homologues internationaux se comptent sur les doigts d’une main : deux en Allemagne, un en Belgique, un en Espagne et un au Japon – celui des Etats-Unis a désormais fermé ses portes ».

Carte dessinée par l’artiste-peintre André Gill.

 

Infinie diversité

Jeu japonnais Hana Fuda

A Issy-les-Moulineaux se donne à voir l’extraordinaire diversité des cartes : apparues au XIVe siècle en Europe, les cartes vont en effet des tarots allemands aux Hana Fuda japonais, en passant par le jeu de 52 cartes aux enseignes variées, les jeux des sept familles – vous souvenez-vous de la famille « Poule au pot » ? – et les jeux éducatifs.
Avant que les enseignes françaises – pique-trèfle-cœur-carreaux – ne finissent par s’imposer dans le standard international, « de multiples traditions nationales ou régionales existaient ». Par exemple, « au cœur français correspondait la coupe italienne ou espagnole, au carreau le grelot allemand et le denier italien, au trèfle le gland allemand et le bâton espagnol et italien et au pique la feuille allemande et l’épée espagnole et italienne ».

Les « génies » et « égalités » remplacent les rois et valets pendant la Révolution française.

Et les jeux de tarots n’étaient pas en reste : on trouve toutes sortes de variantes de ce jeu – tarot de Marseille, tarot de Viéville, Troccas suisse, Minchiate italien.

 

Une histoire longue… et mouvementée

Utilisée aussi bien « pour jouer que dans un but divinatoire, mais aussi à des fins publicitaires ou de propagande politique », la carte à jouer a une histoire riche de rebondissements. Le simple jeu français a ainsi connu des évolutions, notamment pendant la Révolution française : « les figures de l’Ancien régime – roi, dame, valet – se sont respectivement transformées en « génies », « libertés » et « égalités » », poursuit Gwenaël Beuchet.
Aujourd’hui, et contre toute attente, les jeux de cartes ne semblent pas souffrir de l’engouement pour le numérique. « Au contraire, depuis 30 ans, avec notamment l’essor des jeux de société (citons les cartes à collectionner type Magic ou Pokemon ou Les loups-garous de Thiercelieux), une nouvelle diversité de jeux de cartes voit le jour », conclut-il.

« Chariot de Ferrare » : atout d’un tarot peint à la main pour la famille d’Este, à Ferrare vers 1455.

Art et source d’inspiration

Enfin, il est impossible de ne pas parler de la dimension artistique des cartes à jouer qui ont inspiré et fasciné des artistes venus d’autres domaines de la création – que ce soit ceux qui, « comme les surréalistes ou Sonia Delaunay ont dessiné leurs propres jeux de cartes » ou ceux qui « ont importé les cartes dans leur art comme Derain pour ses costumes de ballets russes ou Lewis Caroll avec son Alice au Pays des merveilles ».
Une histoire et une richesse à découvrir au travers des 600 pièces exposées en permanence par le Musée français de la carte à jouer – sur un fonds de plus de 11 000 ensembles du monde entier.

 

Musée de la carte à jouer

16 Rue Auguste Gervais, 92130 Issy-les-Moulineaux (à 200 m du métro Mairie d’Issy)
Mercredi, jeudi et vendredi : de 11h à 17h Samedi et dimanche : de 14h à 18h
Juillet : du mercredi au dimanche de 13h à 18h.
Renseignements : www.museecarteajouer.com
À partir du 2 juin, restauration le midi sur le parvis du Musée.

 

Des Moghôls au Ramayana

La magnifique exposition consacrée aux cartes indiennes vient certes de s’achever au Musée français de la carte à jouer, mais plusieurs de ses pièces figurent dans les collections permanentes et il serait dommage de les manquer.
Rondes, peintes à la main depuis le XVIe siècle, les jeux de cartes indiens comprennent notamment les ganjifas moghols – jeu de 96 cartes (huit couleurs, douze cartes par couleur) comprenant deux figures, le roi et le ministre – et les ganjifas des dix avatars de Vishnou (dashavatara).
Ces cartes seront progressivement supplantées par des cartes inspirées des jeux européens, avec les enseignes piques-trèfle-cœur-carreaux. Aujourd’hui, les ganjifas sont devenues des pièces de musées, la pratique du jeu s’étant globalement perdue.

 

La banlieue en peinture

Après l’exposition temporaire sur les cartes indiennes, retour aux aspects « musée de la ville »  avec du 17 mai au 13 août 2017 une exposition sur l’appréhension de la banlieue par les peintres entre 1850 et 1950. Au programme, explique le commissaire de l’exposition, Florient Goutagneux : « des œuvres de Berthe Morisot, Camille Corot, Vlamynck, Charles Meissonier, Utrillo, Raoul Dufy – mais aussi de Gauguin ou Picasso, à leurs débuts, avant qu’ils ne soient connus et aient forgé cette manière qu’on leur connaît. Tous se sont saisis de ce sujet pictural qu’est devenue la banlieue, avec la mutation de son paysage, d’une part dénaturé par l’industrialisation et le chemin de fer, et d’autre part, lieu de l’émergence d’une civilisation de loisir dans laquelle il faisait bon canoter sur la Seine ou encore déjeuner, à Robinson, dans des plates-formes perchées haut dans les arbres. »