Entendre le monde : cœurs à l’écoute

Depuis 2006, l’association Entendre le monde va, plusieurs fois par an, dépister les troubles de l’audition, opérer des malades et former des chirurgiens ORL dans les pays en développement – Cambodge et Madagascar principalement. Entièrement financée par des dons, elle se compose de médecins prêts à donner leur temps et leur énergie pour la bonne cause.

A l’origine de l’association, la découverte d’un pays, d’un peuple et de ses conditions de vie : « En 2003, je suis parti au Cambodge dans le cadre d’une « opération sourire » avec Médecins du monde. Nous y faisions de la chirurgie réparatrice sur des fentes labio-palatines », se souvient Bertrand Gardini. « Je me suis aperçu là-bas que les troubles de l’audition n’étaient pas pris en charge, faute de matériel et de formation. Nous avons donc décidé de monter une association autour de ce thème de l’audition. »
L’idée se concrétise et Entendre le monde voit le jour en 2006, d’abord au Cambodge, puis à Madagascar, au Vietnam – « mais là, la démarche était différente, car il y avait moins besoin de formation que de matériel » – et demain sans doute au Laos.

 

10 ans sur place…

Mais toute nouvelle implantation « demande des fonds importants, et c’est ce qui nous limite pour le moment ». En effet, « l’investissement de départ – en matériel principalement – est de l’ordre de 80 à 100 000 euros et nous ne nous lançons pas si nous ne sommes pas certains de pouvoir agir sur place pendant 10 ans. C’est un temps minimum pour réussir à former des chirurgiens ORL, des anesthésistes et des infirmières. »
Car l’objectif d’Entendre le monde est double : aller sur place pour sauver des vie en opérant des malades, mais aussi former les médecins qui pourront, à l’avenir, suffisamment maîtriser la chirurgie ORL ou l’anesthésie pour œuvrer seuls.
Dans chaque pays où elle intervient, l’association dispense des cours théoriques et pratiques aux médecins locaux qui peuvent « assister aux opérations et s’entraîner sur des rochers en résine », précise Bertrand Gardini. Globalement, « les médecins de ces pays sont avides de formation ».
« L’internat en ORL n’existait pas en tant que tel au Cambodge lorsque l’association a commencé ses missions là-bas », se souvient Frédéric Martin. « Nous avons vu cette spécialité se structurer depuis cinq ans. Nous avons pu participer à la formation des premiers internes d’ORL du pays, et nous continuons à les voir à chaque mission ».

 

… au minimum

Mais les choses prennent du temps. Si, « pour les anesthésistes, la formation est quasiment achevée au Cambodge », selon Olivier Detriche, pour les chirurgiens, ce n’est pas encore le cas. « La chirurgie de l’oreille est une spécialité très particulière, c’est de la microchirurgie, difficile à enseigner – surtout en allant seulement deux fois par an sur place ! », explique Isabelle Kérurien. « Je dirais que parmi tous ceux que nous avons formés au Cambodge, un seul est réellement est autonome aujourd’hui ». Un propos nuancé par Alain Corré : « Trois chirurgiens ORL sont à peu près formés : ces trois femmes maîtrisent 70 % de la chirurgie de l’oreille, et la totalité de la chirurgie simple. Idéalement, il faudrait pouvoir faire venir les médecins que nous formons en France pendant un an », précise-t-il.

 

 

Deux visions de l’humanitaire

Quand on part dans un pays étranger, dans le cadre d’une association telle qu’Entendre le monde, « il y a deux manières de procéder », expose Alain Corré : « soit importer, recréer notre médecine dans le pays, soit développer la médecine qui existe sur place. »
Et il n’est pas évident de choisir. Pour Bertrand Gardini, il faut tout faire pour travailler dans des conditions similaires à celles de la France, avec, si possible, le matériel le plus récent et perfectionné. « En France, nous avons la chance d’avoir beaucoup de moyens de dépistage, et j’aimerais transporter nos technologies au Cambodge et à Madagascar. Je pense qu’il faut habituer les médecins locaux à travailler avec ce matériel. »
Citant L’Homme debout, de Frédéric Tissot, Alain Corré pencherait davantage vers l’autre manière de faire, en « utilisant au maximum ce qu’il y a sur place. » « Nous nous sommes engagés dans cette aventure sans être formés à cette activité particulière qu’est l’intervention dans un pays étranger, avec des mentalités et des moyens très différents de ce que nous avons en Europe. Cela nous a parfois posé des problèmes et c’est la raison pour laquelle je veux faire un DU sur la conduite de projets humanitaire, pour comprendre ce que l’on a ressenti et ce que l’on n’a pas su faire. »

 

Franchir le pas

« Pour le moment, nous parvenons à faire deux missions par an au Cambodge, deux missions à Madagascar et nous espérons en faire une ou deux au Laos. Chaque mission est composée au minimum de deux chirurgiens et d’un anesthésiste. » « Au total, nous avons une quinzaine de chirurgiens ORL et une dizaine d’anesthésistes au sein de l’association », affirme Bertrand Gardini. Le recrutement des médecins ne pose donc a priori pas de problème. « On trouve toujours des gens qui veulent partir ! »

Un propos nuancé par Isabelle Kérurien et Alain Corré : « Souvent, les gens sont intéressés par nos missions, mais quand on commence à leur proposer des dates, cela devient compliqué », explique Isabelle Kérurien. « Et c’est normal, ajoute Alain Corré : partir dix jours, cela veut dire prendre des vacances pour ceux qui travaillent en hôpital, ou fermer le cabinet, ce qui n’est jamais évident ».

 

Matériel minimal

Pourtant, à entendre les membres de l’association, l’expérience vaut l’effort, même si « les conditions sont très différentes là-bas », insiste Frédéric Martin. « A vrai dire, je ne pensais pas, avant de connaître l’association, que l’on pouvait faire de l’humanitaire en chirurgie ORL, car nous avons une spécialité très technique, qui demande du matériel spécifique et implique de travailler très près du cerveau et du nerf facial. Et même si nous avons le minimum, nous n’avons pas tout le matériel dont nous avons l’habitude en France : ni imagerie, ni scanner, ni la possibilité d’appeler un collègue pour confirmer un diagnostic ou un geste. » « Nous sommes un peu sans filet, nous opérons sans savoir ce que l’on va réellement trouver. On réapprend à faire des diagnostics et à opérer avec des outils très simples », approuve Isabelle Kérurien. « C’est là que notre métier prend toute sa valeur. Nous sommes obligés de travailler dans des conditions différentes de celles que l’on connaît en France… et l’on se rend compte que l’on vit dans le luxe, en France, et qu’on gaspille ! Par exemple, une même sonde d’intubation, simplement lavée au savon, est utilisée pour plusieurs patients au Cambodge. Autre exemple : dans les premières missions que j’ai faites, on n’avait – la situation a changé depuis – qu’une seule paire de pinces bipolaires pour des patients différents, elles sont simplement trempées dans l’alcool au moment du passage entre deux blocs. Dans l’hôpital où nous intervenons maintenant, au Cambodge, il n’y a qu’une seule grande salle d’opération commune : on y fait de la chirurgie ORL, de l’orthopédie, de la neurochirurgie… »
« Pour les anesthésies, je dois également m’adapter : les intraveineuses étant chères, j’emporte surtout des comprimés », explique Olivier Detriche. « Et j’utilise ceux qui sont sur place, même si ce sont des médicaments anciens, avec une posologie différente de ceux auxquels je suis habitué. Il y a aussi régulièrement des pannes de courant, et pas toujours suffisamment d’oxygène – on peut même dire qu’une fois sur deux, on se retrouve en panne d’O2 ! Mon expérience d’anesthésiste pédiatre et d’urgentiste me sert beaucoup dans ces situations. »

 

Grands bonheurs

« Mon meilleur souvenir ? A chaque fin de mission, le dernier jour, quand on opère le dernier malade, avant de prendre l’avion. C’est à ce moment là qu’on se dit que l’on a fait de notre mieux.
Je me souviens de ma première mission : c’était un mélange de grande angoisse et de grande émotion. On se demande si l’on va être à la hauteur. Puis on se lance, et le retour des gens est extraordinaire. » Alain Corré

« J’aime l’ambiance des missions. Je me souviens en particulier d’une ou deux missions de rêve, pendant lesquelles on travaillait comme des malades, on discutait, on était éreintés, on refaisait le monde chaque soir ! Cette ambiance, ces moments extraordinaires, on en parle encore régulièrement avec ceux qui étaient là. » Frédéric Martin

« Je conseillerai à tous les médecins de partir pour voir au moins une fois autre chose que la médecine en France. Le plus important, selon moi, est la formation des médecins sur place. Cela ne rimerait à rien d’y aller, d’opérer 70 oreilles et de repartir sans avoir rien transmis, sans avoir donné les moyens aux chirurgiens locaux d’opérer eux aussi. » Isabelle Kérurien

« Ce que je retiens de ces missions, c’est la gentillesse des gens ! Les malades sont patients, les médecins sont avides de savoir, heureux d’être formés, c’est très agréable. » Olivier Detriche

 

Expérience indispensable

L’expérience est d’ailleurs une condition sine qua non pour partir – et l’association met un point d’honneur à respecter cette règle : « a minima, il faut avoir fait son internat et son clinicat, et être capables d’opérer sans scanner, puisqu’il n’y en a pas là-bas », précise Alain Corré. « Il est hors de question de faire comme certaines organisations qui envoient des jeunes internes se former dans les pays en développement, comme si c’était un terrain d’entraînement ! », ajoute Olivier Detriche.
Par ailleurs, Alain Corré rappelle que l’association « attend des médecins qui partent qu’ils soient efficaces : nous devons opérer beaucoup de malades, en peu de temps. Il faut faire vite et bien – pas question de passer quatre heures sur une opération qui pourrait en prendre deux. »
Hors de question également de laisser les nouveaux médecins de l’association en roue libre : « tout nouveau membre fait obligatoirement sa première mission avec deux ou trois chirurgiens qui sont déjà partis et ont l’expérience du pays », souligne Bertrand Gardini.

 

Mauvaises surprises

Si tous les membres d’Entendre le monde insistent sur la gentillesse des patients et le désir de formation des médecins locaux, les missions dans les pays en développement ne se déroulent pas toujours sans heurt. « Il est parfois difficile de concilier nos envies et les réalités politiques et organisationnelles sur place », explique Alain Corré. « On part tout feu tout flamme, pour sauver des gens, pour former des chirurgiens. Et puis on se rend compte qu’on va certes sauver des gens, mais qu’on va seulement essayer de former des médecins… Et puis quand l’administration nous demande de l’argent pour l’utilisation de l’hôpital, qu’elle veut que les patients paient, sans nous avertir, c’est le retour à la réalité. »
« Il y a parfois des vols de matériels », confirme Frédéric Martin. « Une fois, l’anesthésiste m’a dit que nous ne pouvions pas opérer parce qu’il n’avait plus aucun produit pour endormir le patient ». « Et je me souviens d’une mission au Cambodge, pendant laquelle nous avons dû batailler contre le directeur de l’hôpital qui voulait faire payer les patients. Il avait fait en sorte que la salle de consultation ne soit pas disponible. Nous avons attendu, et nous avons finalement pu récupérer notre matériel. Nous avons beaucoup travaillé pendant cette mission, à tel point que le directeur est venu nous trouver à la fin pour nous remercier et nous a rendu l’argent qu’on lui avait donné. Je pense que nous avions réussi à nous mettre au diapason de leur mentalité. »
« Le Cambodge est un pays en développement, et les médecins font partie de l’intelligentzia. Il arrive que certains nous utilisent pour servir leur carrière personnelle, ce qu’on peut accepter », poursuit Alain Corré. « Mais le racket des patients, les vols de médicaments, non. C’est la raison pour laquelle nous avons quitté l’hôpital Ang Duong de Phnom Penh pour nous installer dans une autre structure. »

 

Pathologies à un stade avancé

Il faut dire que ces nouveaux membres vont être confrontés à des pathologies « beaucoup plus lourdes que ce que nous voyons en France », explique Frédéric Martin. « Cela fait une vingtaine d’années que nous ne voyons plus de pathologies ayant atteint un stade aussi grave. Nous ne sommes pas – ou plus – habitués à opérer des tumeurs de cette taille. »
« Nous opérons beaucoup de cholestéatomes, des tumeurs qui sont en soi bénignes, mais qui, non traitées, peuvent envahir le cerveau », précise Bertrand Gradini. « Des cas existent en France, mais ils sont détectés et traités beaucoup plus tôt qu’au Cambodge ou à Madagascar. Le nombre de cas de cholestéatomes à un stade avancé fait que nous opérons presque exclusivement ce type de tumeurs quand nous allons sur place. »
« L’année dernière, nous n’avons pas pu sauver un patient », regrette Alain Corré. « Au bout de dix ans de missions, on accepte de perdre un patient. On relativise, on se dit qu’il n’aurait peut-être pas survécu en France non plus, et qu’on a fait ce qu’on a pu. Mais si cela nous était arrivé à la première mission, je pense que nous aurions été ébranlés et je ne sais pas si nous serions repartis. »

 

Priorité aux enfants

La gravité des pathologies – et donc des interventions chirurgicales – est l’une des raisons pour lesquelles l’association a « besoin d’avoir un référent sur place, un logisticien prêt à être formé, capable non seulement de préparer notre venue, en passant des messages à la radio pour avertir les patients de notre présence, mais aussi d’assurer un suivi des patients que nous avons opérés, après notre départ », explique Bertrand Gardini.
« Il faut imaginer que, lorsque l’on arrive le premier matin à l’hôpital, la cour est pleine de gens qui nous attendent, qui campent, qui ont parfois fait plusieurs jours de marche pour venir. Ce sont des gens gentils, respectueux, qui attendent d’être reçus, qui savent que l’on ne résoudra pas forcément leur problème », affirme Frédéric Martin. « Nous programmons la chirurgie en direct », ajoute Isabelle Kérurien. « La première journée, nous faisons des consultations, pour déterminer quels sont les cas les plus graves, ceux qu’il va falloir que nous opérions en urgence tout au long de la semaine », explique Bertrand Gardini. « 80 % des patients que nous voyions à chaque mission seraient opérés, s’ils étaient en France, mais nous devons faire des choix, et nous donnons la priorité aux enfants, même s’il y a quelques exceptions. »

 

En réseau

Au-delà des missions sur place, l’une des grandes ambitions de l’association est de « développer des réseaux à distance, via la 4G ou la 5G, pour pouvoir donner des cours à distance aux médecins, dialoguer avec eux, faire de la « live-chirurgie », élargir la formation à des médecins qui ne peuvent pas venir nous voir lors des missions », explique Bertrand Gardini.

Au Congrès mondial

Sur ce dernier point, le président d’Entendre le monde nourrit une attente à l’occasion du prochain Congrès mondial d’ORL : « Notre association va animer une session sur la mise en place des missions humanitaires, et nous espérons avoir beaucoup de retombées, notamment en Afrique, où nous voudrions monter avec un réseau pour améliorer l’information des médecins. »

 

Suivi post-op

Une difficulté à laquelle sont confrontés les médecins d’Entendre le monde est le manque de suivi des patients. « Nous avons encore trop de « perdus de vue » après l’opération », regrette Isabelle Kérurien. « Il est difficile d’expliquer aux patients à quel point il est important qu’ils reviennent à l’hôpital après l’opération », ajoute Alain Corré. « Souvent, les malades viennent nous voir avec une infection à l’oreille. On les opère, ils rentrent chez eux, mais il n’y a pas de suivi, or la cicatrisation au niveau de l’oreille est très longue et le risque de nouvelle infection élevé. Les malades qui voient leurs symptômes réapparaître ne comprennent pas que l’opération a bien fonctionné, mais qu’elle ne suffit pas. »
« Pour avoir le moins de complications possible, nous avons recours à des techniques plus lourdes, moins conservatrices que celles utilisées en France, mais qui comportent moins de risque de récidives », explique Bertrand Gardini.
« Pour nous, il est indispensable que les médecins que nous formons sur place prennent régulièrement contact avec ces patients », insiste-t-il. « C’est de plus en plus le cas », poursuit Frédéric Martin : « nous sommes passés d’un taux de suivi de zéro à 20 % ».
Et si une complication survient, « nous sommes toujours en contact avec les médecins cambodgiens et malgaches, pour gérer les problèmes avec eux, même si c’est à distance », rappelle Bertrand Gardini.

 

L’argent fait le bonheur

Au-delà de l’investissement de départ en matériel lourd (80 à 100 000 euros), chaque mission a un coût, entre 6 000 et 7 000 euros pour « le petit matériel, les consommables, le transport et l’hébergement de nos médecins bénévoles, etc. » A titre indicatif, un traitement antibiotique coûte 20 euros, une micro-prothèse 150 euros et l’opération d’un patient 300 euros.
Au total, Entendre le monde a un budget de fonctionnement de 60 000 euros par an, exclusivement issu de dons, hormis à Madagascar, où l’association a monté un partenariat de cinq ans, renouvelable une fois, de soutien logistique, financier et humain avec Newrest, une entreprise spécialisée dans la restauration hors foyer.
Tous les ans, Bertrand Gardini organise un événement à Toulouse pour récolter des fonds. Et la plupart des bénévoles de l’association essaient eux aussi de recueillir des financements. « Mais c’est clairement Bertrand qui est le plus doué pour cela ! », affirment en chœur Isabelle Kérurien et Alain Corré.
Les dons en nature (sous forme de matériel ORL) sont également bienvenus. « Les membres de l’association essaient toujours de récupérer du matériel auprès d’hôpitaux et de cliniques qui renouvellent par exemple leurs microscopes et jettent les anciens, alors qu’ils peuvent être très utiles pour nous », explique Isabelle Kérurien. Et des partenariats ont été signés avec des sociétés de matériel chirurgical.

Pour faire un don / en savoir plus sur l’association : www.entendrelemonde.org

 

Le Laos, où « tout est à faire »

Après le Cambodge et Madagascar, « nous souhaitons poursuivre notre action au Laos », explique Bertrand Gardini. « Ne faisant pas partie de l’association à ses débuts au Cambodge, c’est en allant au Laos que je me suis rendue compte de l’immensité du travail à faire avant même de lancer une mission sur place », affirme Isabelle Kérurien. « Là où nous sommes allés, il n’y a pas de médecin ORL, alors que la ville compte trois millions de personnes ! Une seule infirmière s’occupe de nettoyer les oreilles. Nous avons eu de bons contacts avec le responsable de l’hôpital, qui est cardiologue, mais nous avons besoin d’un relais sur place de quelqu’un qui soit prêt à se former en ORL et qui puisse suivre les patients après l’opération. »
« Apparemment, poursuit Alain Corré, ils ont trouvé un médecin prêt à se former en ORL. Mais les choses vont très lentement, et on est un peu au point mort pour le moment. Mais nous avons été contacté par un autre hôpital du Laos, où ils ont l’air d’être davantage prêts à nous accueillir. Nous allons nous rendre sur place, pour voir. »
Et, ajoute, optimiste, Bertrand Gardini, « si nous en avons les moyens, nous voudrions aussi lancer des missions en Afrique et pourquoi pas en Amérique du Sud ».

 

 

Le jour et la nuit

 

Après une mission au Cambodge ou à Madagascar, le retour à la réalité en France fait sourire et/ou soupirer les membres de l’association. De l’art de râler sur les râleurs…

Lorsque l’on demande aux médecins d’Entendre le monde si l’expérience de l’humanitaire a modifié leur pratique médicale en France, la plupart répondent par la négative.
Cependant, « cela change tout de même un peu nos habitudes, notre façon de réagir », tempère Isabelle Kérurien. « A l’hôpital, je me suis rendue compte que les infirmières savent qui sont les médecins qui ont déjà fait de l’humanitaire : ce sont ceux qui savent s’adapter, qui font avec ce qu’ils ont. » « Cette expérience m’a fait évoluer, progresser dans mes compétences chirurgicales, tout simplement parce que les interventions que l’on fait là-bas sont plus difficiles. C’est presque plus facile d’opérer en France, parce qu’on a l’imagerie médicale », ajoute Alain Corré,

 

Relativiser

En revanche, ce qui est certain, c’est que les missions modifient leur vision de la médecine en France. « On relativise davantage », explique Frédéric Martin. « La première consultation que vous faites en France est toujours un peu étrange. Alors que vous venez de passer une semaine à opérer de gros cholestéatomes, vous vous retrouvez face à une personne dont la gorge la grattouille. On se dit souvent : « mais qu’est-ce qu’elle vient m’embêter pour si peu… » Et puis on reprend la vie normale et on se réhabitue ». « On est vite rattrapé par le quotidien en revenant », confirme Isabelle Kérurien. « Il m’arrive bien sûr de penser : « mais qu’est-ce qu’il m’embête avec son nez qui coule » mais je sais que c’est aussi grâce au travail que j’ai en France que je peux partir aider au Cambodge. Et puis on peut toujours parler à nos patients de la mission que l’on vient de faire. Cela leur remet souvent les idées en place… »
« Il est vrai que quand on rentre d’une mission au Cambodge ou à Madagascar, le retour à la réalité de la médecine en France est souvent perturbant », reconnaît Bertrand Gardini. « Au troisième enfant qui a le nez qui coule et dont la famille est inquiète, on soupire un peu… Peut-être que l’on en fait un peu trop en France, mais il est indispensable selon moi de garder cet esprit d’exigence. C’est ce qui nous permet de faire sans cesser baisser les risques, de s’améliorer. Pour le moment, les habitants des pays en développement ne se préoccupent pas de cela, mais ils y viendront. »

 

Revendicateurs

« Les patients – je parle des français comme des belges – sont beaucoup plus revendicateurs ici. Ils ne sont pas du tout patients, justement ! », poursuit Olivier Detriche. « Au Cambodge, les gens sont très gentils, ils n’attendent rien, ils ne disent rien si on ne peut pas les opérer faute de temps. Les mentalités sont différentes : quand j’ai fait ma première mission, je me suis rendu compte qu’ils opéraient les amygdales sans endormir le patient ! Les choses évoluent progressivement là-bas aussi, mais le décalage reste grand et j’avoue qu’à mon retour en Belgique, il m’arrive de m’énerver un peu sur mes patients… En Europe, les gens pensent trop souvent que la médecine est un dû. Ils ne comprennent pas que parfois nous devions tâtonner pour trouver le bon traitement, et que les soigner est parfois compliqué. »
« Au Cambodge, la confiance des patients est extraordinaire », ajoute Isabelle Kérurien « En France, on est obligés de se protéger en permanence, par peur des risques juridiques. Je me souviens qu’un jour, nous avons ausculté un Cambodgien malade, mais nous ne pouvions rien faire. Il était pauvre et le traitement était très cher et contraignant. Nous l’avons informé et il nous a été très reconnaissant, simplement de lui avoir dit lui la vérité. Ici, on passe des heures à expliquer les choses aux patients, mais ils n’écoutent pas toujours. »
« En France, les gens ne se rendent pas compte de la chance qu’ils ont ! » conclut Alain Corré.