100 % santé : 3 questions à Luis Godinho, Président du SDA

Votre communiqué du 13 septembre estime que le 100 % santé en audiologie est un « succès incontestable »…
Oui, notre communiqué publié à l’occasion des premiers chiffres de la CNAM a été abondamment repris avec un article dans le Figaro, une dépêche AFP, mais aussi sur France inter, RTL et Europe I, sur C-News et BFM-TV, et nous avons même eu les honneurs de deux JT, su FR3 et TF1.
Beaucoup de retombées, donc malgré une actualité dense. Cela montre que le succès du reste à charge zéro a étonné et surpris par son ampleur, mais aussi qu’il y avait une réelle attente sur ce sujet. Nous le savions au SDA puisque cela faisait dix ans que nous ne cessions d’alerter sur la faiblesse de la prise en charge des appareils auditifs, qui constituait un véritable angle mort des politiques sociales. Mais ce succès dépasse les espérances et les prévisions de la profession.
La France qui était l’un de plus mauvais élèves d’Europe en matière de prise en charge, devient l’un des meilleurs élèves, sinon le meilleur, avec cette réforme appuyée sur les propositions du SDA dans laquelle a été préservée, malgré les perturbations introduites par les complémentaires et leurs réseaux de référencement, le libre choix par le patient de la classe de l’appareil et du professionnel auquel il s’adresse.
Mais au-delà de cette satisfaction, il convient de rester vigilants sur plusieurs points. La réforme a pour les finances sociales un coût de 190 millions d’euros sur six mois, soit environ 400 millions d’euros en année pleine, et tôt ou tard, les pouvoirs publics vont se mettre en quête de moyens de réaliser des économies.
La profession doit donc se tenir prête à rendre des comptes et se montrer irréprochable dans l’exercice des responsabilités qui sont les siennes.
Dans ces conditions, le SDA met en garde contre certaines pratiques de promotions commerciales reposant sur des arguments qui n’ont rien de sanitaire. Les exemples en sont multiples et cela va du smartphone reconditionné offert pour l’acquisition d’un appareillage auditif, à la paire de lunette adaptée à la vue du patient offerte pour un appareillage. Il est à craindre que 5 à 10 % des équipements réalisés cette années l’aient été sur le fondement de ces promotions commerciales, auquel cas l’on peut s’interroger sur la motivation réelle des patients ainsi équipés et sur l’usage qu’ils feront de leur appareillage.
Un second sujet d’interrogation pour le SDA porte sur l’apparition d’un certain nombre centres auditifs « nouveaux venus », qui ne communiquent que sur le 100 % santé. On voit ainsi des centres, pour certains ouverts sept jours sur sept (!), se créer avec une certaine abondance dans des départements où le revenu moyen est assez faible, comme la Seine-Saint-Denis. Il y a, à notre sens, une question de savoir dans quelle mesure ces centres ont la culture du suivi. Equiper un patient, c’est ‘engager sur 4 ans minimum, et il faut donc espérer que ces nouveaux-venus ne soient pas uniquement attirés par un effet d’aubaine, au détriment des patients, de l’observance et de l’image de la profession.

Diriez-vous alors que le 100 % santé comporte un risque de baisse du taux de satisfaction et du taux d’observance ?
A partir du moment où l’accès à l’audioprothèse se fait sans reste à charge, tous les malentendants peuvent s’équiper quelle que soit leur motivation. Il nous semble donc inévitable que le taux d’utilisation baisse quelque peu.
C’est la raison pour laquelle le SDA avait proposé le maintien d’un reste à charge résiduel de 100-150 euros hors CMU et ACS. Cette voie n’a pas été retenue, car le 100 % santé était une promesse politique du Président de la République.
Dans ces conditions, il appartient aux audioprothésistes de continuer de faire de leur mieux leur travail de suivi, et c’est la raison pour laquelle il faut éviter de s’inscrire dans des démarches purement commerciales qui encourageraient à l’acquisition d’appareils auditifs de personnes qui ne sont pas prêtes et informées pour l’effort de la réhabilitation auditive.

Le SDA a toujours refusé la discussion avec les réseaux de soins. Pourquoi ?
Tout d’abord, nous observons que, à juste titre, ces plateformes sont restées absentes de toutes les réunions que nous avons eues avec les pouvoirs publics sur le 100 % santé. Cela est logique car ce ne sont pas elles qui déterminent le remboursement.
Le problème de ces plateformes, est que nous n’avons aucune possibilité de nous entendre.
D’une part, ils ne sont que des intermédiaires mis en place par les complémentaires pour éviter et fausser le dialogue avec les complémentaires de santé. Et de mon point de vue, leur discours vis-à-vis de ces complémentaires peut se résumer à ceci : payez-nous pour que l’on introduise de la complexité afin de réduire vos remboursements.
D’autre part, ces réseaux veillent à instaurer avec les professionnels de santé que sont les audioprothésistes une relation dans laquelle ils ont le maximum de pouvoir. Nous n’avons aucune raison d’accepter cela, d’autant que ces plateformes ne sont en rien des professionnels de santé, et n’ont aucune compétence dans le domaine de notre profession. Je note d’ailleurs que c’est le SDA, et non ces réseaux, qui est à l’origine de toutes les études qui ont marqué, comme celle de Jean de Kervasdoué ou de Pierre-André Juven et de Frédéric Pierru.
Voici brièvement résumées les raisons pour lesquelles le SDA n’échange pas avec les plate-formes. Nous sommes en revanche tout-à-fait ouverts à la discussion avec les mutuelles, assureurs et Instituts de Prévoyance, ainsi qu’avec leurs fédérations.

 

Publicité en audioprothèse

Ce qu’en dit le Synea

Entre le SDA – rassemblant les professionnels, dont des indépendants – et le Synea – rassemblant les enseignes dont des indépendants – , les relations sont généralement cordiales. Elle se tendent néanmoins souvent sur le sujet de la pub… L’esprit d’Alter Ago étant de ne jamais se priver d’une bonne polémique discussion, après avoir entendu Luis Godinho, nous n’avons pas résisté à faire réagir le président du Synea Richard Darmon dont voici le propos.
Conclusion : les deux convergent sans doute plus qu’on ne le croit. Mais jugez plutôt.
« Nous considérons que la publicité est d’abord une source d’information importante pour le malentendant. Elle contribue à faire connaître les bénéfices de l’appareillage, la possibilité de faire tester gratuitement son audition pour un premier repérage des troubles ou mieux faire comprendre aux patients le parcours dans lequel ils s’engagent. C’est également au travers de la publicité que les évolutions sont communiquées aux malentendants. Que ce soit la découverte de nouveaux produits, de nouvelles technologies ou que ce soit l’information d’un centre qui ouvre près de chez eux. La publicité est la seule façon, pour un professionnel, de faire connaitre sa différence. Dans tous les cas, c’est une incitation à découvrir des solutions qui vont changer leur vie.
La publicité a aussi beaucoup contribué à banaliser le port des appareils auditifs et à améliorer son acceptation en réduisant les stigmas qui y sont associé, comme « signe extérieur de vieillesse ». Le frein financier à l’appareillage ayant été levé par la réforme du 100 % santé, reste principalement le frein psychologique, dont on ne viendra à bout que par la communication et un travail sur l’image.
Enfin, la publicité dynamise la concurrence. Elle met de la pression sur les prix et force chacun à se renouveler. Or nous savons que les malentendants seront d’autant plus enclins à s’équiper qu’ils ont le choix. Une offre large et diversifiée est donc une condition nécessaire pour que le taux de recours s’améliore.
Globalement, la publicité est donc favorable aux malentendants. Cela étant, nous sommes convaincus – et nous l’avons écrit et signé dans le cadre de la convention CNAM – que des limites éthiques doivent exister. En effet, nous fournissons des dispositifs médicaux, ce qui crée des obligations sur la qualité de l’information fournie. De plus, le financement est largement constitué d’argent public, ce qui impose que les publicités soient loyales et n’incitent pas à une consommation excessive. »

L’IGAS sensible aux arguments du SDA ?

A noter en tous cas, point dont n’a pas manqué de se féliciter le SDA dans son communiqué du 25 janvier 2022, que l’IGAS consacre les paragraphes 52 à 54 de son rapport au sujet de la régulation des publicités : « on assiste depuis le 100 % Santé à une floraison de campagnes promotionnelles par les distributeurs et par quelques fabricants. Ces publicités peuvent paraître parfois excessives et ne pas servir suffisamment les objectifs de santé publique.
Certaines pratiques actuelles peuvent également constituer des entorses à la législation commerciale. Les pratiques commerciales déloyales et trompeuses, si elles sont avérées, doivent effectivement être poursuivies et sanctionnées. Il revient à cet égard aux professionnels eux-mêmes de saisir les services de l’État (DGCCRF) et les tribunaux quand ils estiment que leurs concurrents recourent à de telles pratiques – lesquelles requièrent également la vigilance des services de l’État. Il serait opportun que la DGCCRF et l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) allouent, au moins au cours de la période de montée en charge du 100 % Santé et du financement socialisé des aides auditives, plus de moyens, chacune dans son domaine de compétence, au contrôle des audioprothésistes et de leurs pratiques commerciales et de publicité. »
L’IGAS considère néanmoins « que les pistes visant une interdiction totale de la publicité seraient difficiles à mettre en œuvre juridiquement et comporteraient des risques d’effets pervers. Si les pouvoirs publics voulaient agir pour mieux encadrer les pratiques promotionnelles, ils ont toutefois plusieurs voies à leur disposition :
• renforcer les moyens de l’ANSM afin qu’elle puisse surveiller plus étroitement (a posteriori) les publicités sur les aides auditives ;
• instaurer un mécanisme d’autorégulation de la profession ;
• prendre un décret précisant les règles applicables à l’information et la publicité des audioprothésistes prévoyant, le cas échéant, l’interdiction de la mention du nom commercial des aides auditives dans les publicités, ou l’obligation, dès lors que le prix d’un appareil est mentionné sur une publicité (aussi bien d’un audioprothésiste que pour une aide auditive spécifique), de mentionner les modalités du suivi par l’audioprothésiste. »
Au-delà, l’IGAS souligne l’existence de certains comportements déviants – pratique déloyale ou mensongère en matière de promotion mais aussi exercice illégal de la profession d’audioprothésiste par des assistants, des techniciens ou des opticiens, appareils de classe I vendus avec des restes à charge important moyennant la vente de suppléments non réglementaires, faible présence des audioprothésistes dans les centres – et même le cas d’un audioprothésiste qui aurait rédigé à l’attention d’un médecin générlaiste un courrier lui demandant d’apposer sa signature sur une prescription à partir de tests audiométriques réalisés sur un patient commun.
Conclusion de l’IGAS : sa recommandation n°4 qui est « lancer une campagne de contrôles conjoints des audioprothésistes » par les CPAM et les ARS ; sachant que la DGCCRF a également planché sur le sujet toute l’année dernière, on peut s’attendre à un prochain rapport sur le sujet, d’autant que la recommandation n°5 de l’IGAS vise à renouveler la campagne de contrôle de la DGCCRF. »

 

Dans ce dossier (à télécharger en PDF) : AALM13_2022_forum