Etudes de santé : une réforme de (très) longue haleine…

Annoncée en 2017, la réforme des études de médecine devait aller vite. En fait, elle aura duré tout le quinquennat ; et à dire vrai, beaucoup plus même, depuis presque 10 ans. En multipliant les promos crash-tests ?

On aimerait dire que « tout commence en 2019 », mais c’est faux. Pour le troisième cycle, les choses étaient lancées bien avant et les décrets de réforme remontent à 2016. Quant à la première année des études de santé, cela faisait déjà près de 10 ans que le parcours des étudiants allait de réforme en réforme (lire encadré ici) quand Emmanuel Macron présente  en 2019 un de ces projets marketés dont cette majorité – et les pouvoirs publics depuis 15 ou 20 ans – ont le secret : le plan « ma santé 2022 » – un peu comme il y a « ma prime rénov’ », pour les bâtiments, en somme…

Et pour « ma santé 2022 », l’objectif est clair : « Le système est absurde, et il nous faut donc le regarder en face. (sic !)  Au même moment, nos entreprises cherchent des talents en biotechnologie, dans les laboratoires de recherche et cherchent ces mêmes compétences, j’ai exprimé sur ce point ma conviction de longue date, et les ministres m’ont proposé une rénovation complète des études de santé, et notamment médicales. Le numerus clausus sera donc supprimé pour cesser d’entretenir une rareté artificielle, et pour nous permettre de former plus de médecins avec un mode de sélection rénové, et de renforcer la dimension qualitative et le niveau de formation des études de santé.

 

Dans les prochains mois : combien ?

C’est ce travail que les ministres conduiront dans les prochains mois pour repenser, après les concertations indispensables, les études de médecine ».

Comiquement ou non, pour un plan visant 2022, le Président de la République nuançait aussitôt : « ne nous leurrons pas sur l’efficacité immédiate d’un tel dispositif, nous subissons aujourd’hui les conséquences de décisions prises, il y a plusieurs décennies, (…) et nos décisions sur le numerus clausus auront un impact symétriquement dans 10 à 15 ans ; nous devons donc actionner tous les leviers aujourd’hui pour aller plus vite. » (Déclaration sur la transformation du système de santé, à Paris le 18 septembre 2018)

Mais bon, la chose était dite. « Dans les prochains mois » ; « aller plus vite ». C’était en septembre 2018. Où en est-on trois ans plus tard ?

 

Un processus long et lourd

Indubitablement, le calendrier s’est passablement étiré – en grande partie sans doute à cause de la crise sanitaire, même si certains jugeront que la crise a bon dos et que le problème tient aux difficultés de déploiement d’un monstre de complexité.

Les optimistes se satisferont qu’il y ait maintenant une série de textes, à commencer par la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

Les pessimistes souligneront que leur nombre laisse précisément entrevoir cette complexité. Pour dire les choses clairement : oui, s’est étalée sur trois ans la publication d’une pléthore de textes juridiques, longs, complexes, bourrés de renvois les uns aux autres, qu’aucune institution, sauf erreur de notre rédaction, n’a pris la peine de centraliser pour les présenter d’une façon méthodique, claire et synthétique à un public d’étudiants et d’enseignants en médecine qui ont trop à faire pour prendre le temps de se noyer dans ce labyrinthe. Jugez plutôt.

R1C – Contre toute logique (?) c’est la réforme du premier cycle qui a pris le plus de retard au point que le magazine l’Etudiant évoque même un « fiasco ». Certes, cela avait commencé avec une salve de décrets et d’arrêtés publiés le 5 novembre :

Seulement justement, aux termes de l’article 1er de ce dernier arrêté, « Les universités qui dispensent les formations de médecine, de pharmacie, d’odontologie ou de maïeutique indiquent l’ensemble des parcours qui permettent l’accès à ces formations, qu’ils soient proposés par elles-mêmes ou par des universités avec lesquelles elles ont établi des conventions. Elles indiquent également les groupes de parcours et le nombre minimal de places proposées dans chacun de ces groupes de parcours pour chacune des formations ». Or, alors que ces  capacités d’accueil des universités  devaient être précisées au  31 mars 2020, l’arrêté attendu n’est finalement intervenu qu’au 7 mai 2021 (arrêté du 5 mai 2021 ; l’Etudiant avait rendu compte de ces difficultés dans son article du 7 mai 2021), tandis qu’il a fallu attendre le JORF du 17 septembre 2021 pour que soit publié l’arrêté définissant les objectifs nationaux pluriannuels de professionnels de santé à former pour la période 2021-2025…

Reste à savoir si le calendrier et le covid sont les seuls en cause dans cette difficulté qu’a la mayonnaise à prendre, si, comme l’observe Natacha Teissier « La réforme est assez complexe, ce qui est une façon polie de dire que personne n’y comprend rien. »

R2C – La réforme du deuxième cycle des études médicales, et plus particulièrement la fin des épreuves classantes nationales informatisées (ECNi)  a dû être repoussée d’un an, après que les syndicats étudiants aient en mars 2019 fait remonter aux pouvoirs publics le « désarroi » de leurs mandants devant le retard pris par les textes d’application.

Elle vient donc seulement d’être mise en place à la rentrée 2021 avec le décret n° 2021-1156 du 7 septembre relatif à l’accès au troisième cycle des études de médecine.  Mais cela ne signifie pas que tout était prêt. Pour preuve, le coup de gueule de l’ANEMF en octobre dernier, alors que, plus d’un mois après la rentrée, les étudiants de deuxième cycle n’avaient pas encore accès à toutes leurs fiches de révisions – une fiche par item dans le cadre du Livret de Suivi des Apprentissages (LiSA), destiné à  guider l’acquisition des connaissances au long du deuxième cycle. Livret qui, lui aussi, devait être achevé pour la fin 2020…

R3C – Etonnamment, ce qui aurait pu apparaître comme le dernier étage de la fusée, la réforme du troisième cycle, enfin, pouvait sembler bien avancée puisqu’étaient pris de longue date :

Et pourtant… les choses n’étaient, malgré ces textes, pas pleinement abouties.

D’une part, incroyable mais vrai, ces deux arrêtés du 12 et du 21 avril 2017 ont depuis été significativement « patchés » :

D’autre part, tout cela n’a guère permis aux étudiants de disposer de perspectives claires sur l’organisation de leur cursus, ainsi que le relève Anne-Laure Hamel, qui achève son mandat de vice-présidente de la Société des jeunes ORL : « En ce qui concerne la réforme du troisième cycle, nous sommes la première génération d’ORL à la subir. On peut même dire que nous la vivons chronologiquement, qu’elle se fait en même temps que nous avançons dans notre cursus et c’est assez stressant pour nous : nous avons l’impression d’être une promotion test. Nous avons déjà vécu, lors du deuxième cycle, la refonte de l’examen classant devenu examen final informatisé – avec les bugs que cela implique. Cela a déjà été un crash-test, et tout le monde a dû faire avec. » Et si la présidente de la SJORL se félicite plutôt de la philosophie générale de la réforme, elle n’en souligne pas moins les interrogations de taille qui demeurent pour les internes.

Enfin, chacun jugera à la fois du bon sens – ou non – et des conséquences – graves ou non – de cet étalement de l’entrée en vigueur des réformes qui aura, sur le long terme, multiplié les promotions ayant chacune eu un parcours bien à elle…

En attendant, maintenant que sont rappelés l’essentiel du cadre juridique et temporel, essayons un focus sur la réforme propre à chacun des trois cycles.

 

Lire le dossier (à télécharger AALM13_2022_decryptage)